88-I

Ariane :
Sa mère n’étant pas juive, A n’est pas juive non plus au sens de nos rabbins. Mais au sens de la race à détruire – le seul qui nous importe à nous autres – elle l’est. Sous Hitler, elle le méritait, les lois de Nuremberg l’y conduisaient tout droit.

Reçu du Bureau central, Jérusalem – 5 livres
N° 6876
Date : 16/IV/61
Nom : Weil-Joffroy
Adresse : 48 bis rue Custine, Paris 18e
Qui a planté un arbre en Israël de ses propres mains dans la forêt des Martyrs (à la mémoire de mon frère Théo).
(au verso)
« Quand vous serez entrés dans le pays et que vous y aurez planté toutes sortes d’arbres fruitiers… ». (Lev. 19,23)

85-XII

Ma « bonté » ?
Quelque chose en moi serait « bon », volontairement « bon » ?
Or ce n’est que ma capacité (le don que j’ai) de me mettre presque entièrement dans la peau de l’autre, d’éprouver ce qu’il sent à fond, jusqu’à la nausée parfois.
Bonté ? rien qu’un transfert interpersonnel.

82-VIII

Et puisque « Joffroy », je signe mes lettres « J » qui est le « J » apposé sur la carte d’identité de mes père et mère en l’an 1941.

78

Je ne saurai sans doute jamais si j’étais né pour écrire des livres ou faire des yaourts succulents.

90-IV

Je n’ai pas connu, pas cherché à connaître les célébrités de mon vivant.
À peine un peu Michaux. Je n’ai connu que celles qui le deviendraient.

87-VI

Compris, au retour de la mer de Chine, que j’ai changé de statut. Vaguement pressenti avant (par des questions : « Tu fais toujours des papiers ? »). Maintenant, pour les moindres amis et relations, je suis d’abord l’écrivain. Même un grand, dit S. Chalandon au procès de Lyon (Barbie) qui m’explique en déjeunant « après vos papiers sur les Boat People, j’ai saisi la supériorité de l’écrivain sur le journaliste, qui était déjà claire au moment où Libération a confié le journal aux écrivains et où nous nous sommes sentis dépossédés : c’est que nous ne fonctionnons qu’avec les faits, la réalité. Vous, vous y ajoutez, sans porter préjudice à cette réalité, l’imaginaire. »

91-V

Rien de ce que j’écris comme romancier ne manque tout à fait à la touche journalistique.
Rien de ce que je fais comme journaliste n’est tout à fait privé de l’aura romancière.

91-XI (2)

La langue française pour amour ! Aucun couple d’humains ou de dieux n’en a vécu de tel, aucun soleil ne s’est levé plus magnifique que sur notre lit. Nous aurions pu vivre en amants, toujours, elle était d’accord, mais il y avait les enfants : nous nous sommes épousés. Nos livres grandissent dans l’ombre chaude de nos étreintes.

91-XI

Comment je suis Rimbaud
Avec un être que vous pourriez admirer, ne cherchez pas en lui ce qui vous dépasse mais ce qui vous est commun. Et pas forcément dans l’activité même qui vous l’a fait chérir.
Ex. : Rimbaud d’avec qui je pourrais énumérer mes ressemblances : comment « J’aime mieux partir qu’être exploité », « Et si je me plains, c’est une façon de chanter ». « Synovite, hydarthrose » au genou droit, aller faire du journalisme à Paris, le fait forcené du déplacement, le dédain des gens de lettres, etc.

93-IX (2)

Je suis quelqu’un de toujours perdu. Où que ce soit je n’ai jamais su, pu me repérer. Mes mouvements sont désorientés. Aucun sens de l’espace ou alors un sens perverti qui me fait régulièrement choisir, entre deux directions, la mauvaise.
Mais cet homme que je suis sait toujours, à cinq minutes près, l’heure qu’il est. Aucun besoin de montre. Le temps et mon espace. Quand je m’en suis rendu compte, tardivement, j’ai compris pourquoi je révérais l’histoire, l’archéologie (J’ai voulu être archéologue), les voyages dans le temps tandis que je dédaignais la géographie, la terre, le ciel, la mer, les paysages (un regard et j’en ai fini avec eux).Je n’attends rien de l’espace. Je n’y suis pas. Il est 18 h 23 : voilà où je suis.