93-IX

Abondante privation
On me plaint – quand je me raconte – d’avoir eu vingt ans en 1942, dans la quatrième année de la guerre (année aussi du Protocole de Wannsee qui réglait l’anéantissement des juifs).
J’interroge ma mémoire.
Qu’est-ce qu’ils racontent ! dit-elle. Toi, privé de ton adolescence ? Toi qui as reçu autant d’affection, d’amitié, de joie, d’amour heureux ou malheureux que tes pareils à toute époque ! Et qui as reçu en plus la faim, la détresse, la terreur, la démence qui ne leur étaient, à eux, ne leur sont jamais promis. Tu le savais déjà en 1942 : ce serait l’invendable trésor de ta vie (si tu t’en tirais), tu n’aurais plus rien à apprendre. Pour toujours, il te suffirait de ne pas bouger de ce point, de cet invisible mais indestructible point de l’an 42 d’où nulle extase ne peut commettre l’oubli de l’effroi, d’où le plus grand deuil n’est jamais en état de gazer l’espérance.

93-VI

Pour le jeune journaliste que j’étais dans les années 45-50, le bonheur de l’article terminé se conjuguait toujours au pluriel. Il y avait ma délivrance d’abord (vécue sur le mode lyrique de l’accouchement) ; puis le plaisir de voir ou d’entendre le ou la sténo à qui je dictais s’émouvoir ou se marrer en tapant sur les touches ; une heure après, quelqu’un du secrétariat de rédaction, parcourant les feuillets, répétait la même séquence, et parfois un typo quand j’allais, négligemment mais les pavillons bien ouverts, traîner au marbre ; le lendemain matin, un ou deux amis me parlaient encore de ce papier merveilleux (il l’était toujours). Mais à midi, c’était fini. Il ne fallait plus m’évoquer l’œuvre de la veille et du matin, absolument plus – comme si j’avais senti ou deviné ou compris qu’en éternisant mes bonheurs journalistiques je me rendrais impossible l’accès à la littérature.

20-IX-82

Massacres de Beyrouth
J’écoute France Musique, pour travailler, et il s’y mêle tout le temps des interférences d’un poste arabe qui diffuse des sourates du coran (sans rapport avec le massacre). Et je crois entendre la prière pour les morts de Treblinka et d’Auschwitz.

91-X

À la synagogue
Je l’ai déjà vu, je le vois encore : il n’y a plus de Schnorrers à la synagogue ; ma surprise va jusqu’à l’indignation. Sommes-nous devenus si riches qu’il n’y ait plus de pauvres parmi nous ? Il nous faut des pauvres. Sans eux, nous serions si pauvres.

J’ai avisé un jeune rabbi barbu et lunetté. Je lui ai posé la question des Schnorrers. L’attaque a été si brutale, inattendue, qu’il m’a regardé presque hébété : « Je ne sais pas… ». Mais il voit la pente, il la voit déjà – terrible.

83-X, 29

Supprimer le tabac
Mieux manger
Etre moins interventionniste dans mes propres affaires. Ne pas chercher ni attendre des rencontres improbables. Garder seulement l’espoir d’en faire.
Réfléchir chaque fois à un « problème » : USA-URSS, Hitler-Staline, rapports avec les autres, le livre en cours
Investissement à fond dans les rêves du jour, les espérances de moi jeune – pour retenir le jour.

I-63

Coupure de presse de Paris-Match
M. le Rédacteur en chef,
J’ai lu dans « Paris-Match », beaucoup de bons articles, mais jamais un qui m’ait aussi profondément ému que celui de Pierre Joffroy dans le numéro 713. Cette évocation du Londres burlesque, misérable et tragique de Charles Dickens est admirable, tant par le texte que par les photographies. Pierre Joffroy est un véritable artiste.
J. Touchard,
Lausanne.

98

Dans mes « egoflashes » parler du fils de Théo. Donner les noms de sa mère, de lui-même.
Les visites de la mère à ma mère avec le petit.
Mais la mienne (de mère) ne voulait pas accepter la situation. C’est le seul manque de sensibilité que je lui ai connu.

S. d.
Ce que je veux
Diminuer – par l’exercice de mon art et de ma charité – le poids de chagrin du monde.

86-VIII

Reprendre l’expression même de Rousseau « …Une entreprise sans pareille… » ( ?) comme titre.
Autobiographie.
Je n’ai pas de souvenirs (en continu)
Que des éclairs (flashes)
C’est un livre d’éclairs (pas toujours foudroyants…).
Entreprise Rousseau : orgueil et hypocrisie. Plutôt Proust.
Le chemin moyen.
Pour quoi faire ?
Pour ça.

Autobio
Théo et les parcs
Les filles de l’autoroute
Les mannequins
Locomotions (chalutier, SM, etc.)
Le bris des chaises (D.G.)
La gifle PL
La main refusée
La fabrique du yaourt
lycée de Metz.

92-V-6

L’artefact ébloui
Mon autobiographie, si je l’écrivais : une histoire de faux nez.
Noms, attributs, travaux, passades, passions, le travail n’a pas manqué dans la forge de mes faces. Je n’ai jamais été que mon semblable (mon frère à la rigueur) – pas moi. Même le petit garçon de H (Hayange) n’était pas moi – ce moi qui me survivra (il lui faut bien une vie) sans que je sache comment.
C’est pourquoi celle qui m’a si magnifiquement aimé pour moi, indifférente aux constructions et aux soudures accumulées, et qui m’a reconnu tel que je ne me connais pas (sans d’ailleurs me dire le secret de sa lucidité), celle-là a son tabernacle dans le cœur de moi.

VI-81

Les grands hommes de la guerre
Gerstein – De Gaulle – Churchill.
Les autres n’étaient que des possesseurs de la puissance publique. À ce titre, interchangeables.
Mais pas les trois premiers.