93-IX

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Abondante privation
On me plaint – quand je me raconte – d’avoir eu vingt ans en 1942, dans la quatrième année de la guerre (année aussi du Protocole de Wannsee qui réglait l’anéantissement des juifs).
J’interroge ma mémoire.
Qu’est-ce qu’ils racontent ! dit-elle. Toi, privé de ton adolescence ? Toi qui as reçu autant d’affection, d’amitié, de joie, d’amour heureux ou malheureux que tes pareils à toute époque ! Et qui as reçu en plus la faim, la détresse, la terreur, la démence qui ne leur étaient, à eux, ne leur sont jamais promis. Tu le savais déjà en 1942 : ce serait l’invendable trésor de ta vie (si tu t’en tirais), tu n’aurais plus rien à apprendre. Pour toujours, il te suffirait de ne pas bouger de ce point, de cet invisible mais indestructible point de l’an 42 d’où nulle extase ne peut commettre l’oubli de l’effroi, d’où le plus grand deuil n’est jamais en état de gazer l’espérance.