Egoflashes

(Egoflash : ancêtre du post-it)

Les 4 de 1945 (tempéraments)

Si nous avions été des musiciens célèbres, Gatti aurait été Bach, Boulez Beethoven, Saby Mozart et moi Debussy (plutôt Brahms ?).
Écrivains : Gatti Hugo, Boulez Baudelaire, Saby Rimbaud, moi Chateaubriand.
Soldats : Boulez Frédéric II, Gatti Napoléon I, Saby Charles XII, moi Cincinnatus.

15-12-1960

Au journal, revu Dante après quelques semaines d’absences dudit (le film, montage avec Chris, post-synchro). Pas de nouvelles d’ailleurs, sinon par raccrocs – à l’occasion d’un coup de fil de Mme U pour la publicité du film. Sentiment désastreux de mon inutilité, aggravée par la « gentillesse » trop visible de D. – quelque chose comme : « Tiens, il y a longtemps que je ne lui ai rien dit. Ne le laissons pas tomber, etc. » Et proposition de nouveau de faire les sous-titres – ce que j’ai refusé. Souvenir du jour où, me présentant à sa porte pour lui donner un conseil (au moment de la disparition de D. D. et de l’arrestation de quelques-uns), j’entendis à travers la porte sa voix excédée qui me reprochait la nullité des textes de dialogue que j’avais rédigés deux ou trois jours avant. Sa gêne, lorsqu’il m’ouvrit, craignant que je n’aie entendu, surtout lorsqu’il connut le motif de ma venue – motif altruiste, d’amitié pure.
Un peu après, le lendemain ou surlendemain, il abordait franchement le sujet, ce qui est rare de sa part : « J’ai l’impression que quelque chose ne va pas entre nous. » Il désirait savoir, au fond, si je l’avais entendu ou non. Je dis que j’avais entendu. Explications réciproques. Ce n’était pas ce qu’il voulait dire. Je lui dis que son attitude était d’autant plus blessante qu’il connaissait mieux que quiconque ma modestie à l’égard de l’œuvre, de l’écriture en général, ma véritable humilité : que donc, il pouvait me parler à cœur ouvert des textes contestés mais non s’enrager seul contre moi, etc.
Sentiment hier que l’amitié a pris un tournant mauvais, mais décisif. Constaté que l’amitié pouvait faire souffrir comme l’autre chose. Amitié d’esclavage – dont la rupture ne peut me nuire en ce qui concerne l’essentiel, le but de ma vie – au contraire, je crois. Un dénouement.

I-63

Coupure de presse de Paris-Match
M. le Rédacteur en chef,
J’ai lu dans « Paris-Match », beaucoup de bons articles, mais jamais un qui m’ait aussi profondément ému que celui de Pierre Joffroy dans le numéro 713. Cette évocation du Londres burlesque, misérable et tragique de Charles Dickens est admirable, tant par le texte que par les photographies. Pierre Joffroy est un véritable artiste.
J. Touchard,
Lausanne.

Mercredi 4 décembre 1963

Dante, hier, me fait faux bond au déjeuner. Il ne s’était pas réveillé. Aujourd’hui, il devait me rappeler pour qu’on aille ensemble au concert du Domaine musical. Aucune nouvelle. Je rapproche cela du fait que, durant son récent voyage à Cuba, il ne m’a pas écrit un mot. Une amitié pareille à un vieux cousin ! S’ils n’écrivent pas, c’est qu’il n’avait rien à dire. S’il ne se réveille pas, c’est que le R.V. n’est pas urgent. Et s’il oublie, c’est que ce qu’il avait à se rappeler n’en valait pas la peine. De ma part, l’amitié a toujours été peu exigeante, souple, indulgente. Peut-être eût-il mieux valu que je paraisse lui attacher un plus haut prix : la crainte de blesser mon éventuelle susceptibilité m’aurait évité ces indifférences. (Raisonnement fautif, pour ne pas dire idiot ! Les apparences ne sont pas ce qui compte.)

17-II-65

De plus en plus fréquente, la nuit, l’angoisse. Toujours logique, appuyée à des certitudes : la mort, l’âge, les échecs – l’inévitabilité de tout.

Envoyé à Gatti, avril 1968

Ce que je t’ai dit, en longeant la Bourse il y a 20 ans, demeure une des mes rares certitudes. Penche-toi sur ton puits. Puise encore. Ne désespère de rien.
Amitiés pascales,
Joffrey

71-XI

La fille tondue à Belfast – épousée par le sergent britannique pour lequel elle avait subi son châtiment.
Mme N. se souvient… celle que j’ai vue à Lyon en tête d’un cortège comme une Jeanne d’Arc d’infamie (et une voix qui intercédait près de moi : « C’est horrible ! Empêchez-ça ! Empêchez-ça ! ).
La femme (Francesca ?) d’Aurillac, dénonciatrice du maquis de Théo (à Marcolès) tuée par les maquisards et enterrée clandestinement dans un jardin.

S. d.
Durant toute cette guerre, je n’ai jamais pu me défaire d’un extraordinaire sentiment de victoire, de victoire au plus fort de la défaite et de la capitulation pétainiste, victoire dans chacun de nos désastres, victoire répétée au milieu de nos masses de cadavres brisés et brûlés, victoire dans les abois de haine joyeuse d’Hitler (de ses tapements de fesse sur ses culottes de cuir), victoire partout et sur tous les fronts.
Comment aurais-je pu ne pas triompher ? J’avais Churchill à trois pas dans l’Ouest, et de Gaulle au flanc gauche, mon frère Théo dans un maquis du Cantal et moi-même qui n’attendais qu’un signe pour anéantir de ma tête et de mon fusil les armées SS – et jamais, jamais, jamais, un millier de fois jamais je ne serais vaincu parce que je serais toujours, toujours, un milliard de fois toujours,

1972

Maufrais, Gerstein, Michaux, Gatti, Joyce
Le point commun ?

1972 (2)

Les justes
Maufrais-Gerstein
Incorruptibles – non modifiables par le milieu qu’ils traversent, où ils sont plongés. On ne leur fait rien faire pour quoi que ce soit qui ne soit pas ce qu’ils ont résolu de faire.

Janvier 1973

Mon histoire, MM. les juges, sera brève… Je n’aime pas le sang de 5 h du matin.

J’ai commencé mon métier de journaliste à une époque – la libération – où la peine de mort était fréquente. Et j’aurais eu bien des raisons personnelles d’en approuver l’exercice. Je n’ai jamais pu m’y résoudre. J’ai été, je suis, je serai toujours un adversaire déterminé des exécutions capitales. Chaque fois que j’en ai eu l’occasion, je l’ai dit ou écrit. C’est là ma petite tradition personnelle. Elle a 25 ans d’âge. C’est une grande personne maintenant. Mais je n’ai jamais – délibérément, en toute connaissance de cause – défié la loi.

L’été dernier, mon journal m’a demandé de couvrir le procès de Cl. Buffet et R. Bontems devant les Assises de l’Aube. Je ne savais des faits que ce que chacun en connaissait : la prise d’otages dans la prison de Clairvaux, le chantage, l’assaut décidé par les autorités, la mort atroce de l’infirmière Nicole Comte et du gardien Guy Girardot. Il n’y avait pas à s’y méprendre : c’était bien, comme on dit, du « gibier de guillotine » qu’on allait juger.

Mais j’étais loin de m’attendre à ce que j’allais voir : un Palais de Justice en état de siège, une foule haineuse hors du prétoire et dans le prétoire, partout des cris de mort, le beau-frère d’une victime laissant répandre le bruit que, si les accusés n’étaient pas condamnés à mort, il s’en occuperait lui-même avec son fusil – et il ne lui faudrait pas plus de deux cartouches. À un homme chagriné, on peut pardonner beaucoup de choses… Mais je trouvai inacceptable la pression constante des gardiens de prison. Je trouvai singulier le fait qu’on ait jugé le procès de Clairvaux à quelques kilomètres de Clairvaux. Je trouvai incroyable que le propre député de l’Aube, M. Briot, ait réclamé à l’Assemblée nationale le châtiment suprême. « L’opinion demande, disait-il à la tribune, une condamnation rapide. Aucune lenteur ne sera tolérée. Elle exige un châtiment exemplaire et considère que la peine capitale est la seule possible devant ces actes de cruauté ». (Appl. sur divers bancs). Cette préparation d’artillerie avait fait de Troyes une ville qui transpirait littéralement la vengeance. À la fin du procès, j’entendis de mes oreilles un quidam interpeller mon confrère, Frédéric Pottecher, et lui crier : « Alors on les a eus, ces cochons, malgré vous ? » Malgré lui, certes – et malgré moi.

Pendant les audiences, j’avais pu voir à loisir ces deux fameux bandits. Roger Bontems, en prison pour avoir attaqué et blessé un chauffeur de taxi, n’était qu’un comparse. Malgré les pressions, les jurés de l’Aube n’avaient pu le condamner pour aucun geste commis sur les otages mais seulement pour complicité : il était clair pour moi qu’il serait gracié. Quant à Buffet, il avait déjà largement échancré le col de sa chemise comme pour mieux offrir son cou au bourreau et il écrivait qu’il souhaitait être guillotiné sur le dos afin de voir tomber le couperet… Il me parut totalement aliéné. Je n’étais pas le seul à penser ainsi. Un médecin de prisons était venu déclarer à la barre : « Pour moi c’est un fou dangereux… ». Le problème était de savoir si le Président de la République allait se résoudre à laisser guillotiner cet homme. Je me rappelai l’émouvante déclaration de M. Pompidou à la Télévision en mai 1970 lorsqu’il avait dit avec tant de gravité : « Ce qui est le plus pénible, de très loin, c’est le problème des grâces. Pour moi, à chaque fois, c’est un drame de conscience ».Ce que je ne compris pas d’abord : Et je me disais qu’après de telles paroles, de si nobles paroles, Buffet avait bien des chances de s’en tirer. Mais je n’en étais pas sûr. D’autant moins que les gardiens de prison, leurs organisations syndicales et le directeur de l’Administration pénitentiaire multipliaient – tout le monde le savait – leurs pressions sur l’Exécutif. Le 27 novembre, France-Soir publia un sondage réalisé sur un échantillon de 993 personnes d’où il résultait que 63 % de cet échantillonnage se déclarait favorable au maintien de la peine de mort.
Dans la nuit du 27 au 28 novembre, mon journal m’appela chez moi. Il était 3 h du matin. On m’avisait qu’il y avait du remue-ménage boulevard Arago, rue de la Santé. Je courus à la Santé. Dans la nuit, le spectacle était sinistre. La rue de la Santé était barrée aux deux extrémités ; des fourgons, des motos, phares allumés stationnaient devant le grand portail de la geôle. Un confrère s’approcha de moi et me dit des mots que je ne compris pas d’abord :
– Ils vont y passer tous les deux.
– Tous les deux ? Qu’est-ce que vous dites ?
– Je dis qu’ils vont y passer tous les deux. Tous les avocats sont là : Thierry Lévy, Crauste, Lemaire, Badinter.
– Bontems ?
– Oui comme Buffet. Tous les deux !

Sur le moment, je me refusai à admettre que l’on allait, que l’on venait de couper la tête à ce Bontems qui, comme il le disait, n’avait pas de « sang sur les mains ». Je ne le crus vraiment que lorsque fut affiché à la porte de la Santé le procès-verbal de l’exécution.

Alors, je rentrai chez moi et je décidai de raconter, avec l’aide de tous les témoins que je trouverais, cette double exécution. Je savais que j’allais violer la loi mais je voulais que la personne de B., de B. le silencieux, de B. dont on avait si peu parlé jusque-là, sinon en termes de mépris, que cette personne-là fût évoquée. Et elle ne pouvait plus l’être que par sa mort. Buffet avait une histoire, Bontems n’en avait pas. Me taire, respecter la loi, c’était priver Bontems de sa mort c’est-à-dire de ce moment où cet homme, plein d’espérance encore, averti qu’il allait être tué sur le champ, sut trouve en lui assez de force pour marcher bravement, sans faiblesse, au supplice.

J’ai donc écrit tout ce que j’ai su. Et je n’ai éprouvé aucun regret. J’ai violé la loi. Mais je me respecte trop – et je vous respecte trop – pour respecter la guillotine.

Je n’ai jamais voulu d’argent. Réussir ! Je n’ai jamais voulu qu’écrire qui me paraissait comme la marche de loin la plus haute d’une vie.
C’est pourquoi la perspective d’un incendie de mon travail m’apparaît encore et toujours comme infiniment plus grave que le krach collectif de la caisse d’épargne et des banques où j’ai placé mes trésors.

IV-78

Il m’arrivait de faire preuve d’une indescriptible bonté en lui choppant le rôle de doyen dans la Tribu !

78

Je ne saurai sans doute jamais si j’étais né pour écrire des livres ou faire des yaourts succulents.

Lundi 28-8-78

Le souvenir gardé par Gatti de notre rencontre : parachutiste, déporté, les ½ résistants du Parisien libéré lui avaient concédé le droit de faire un scandale une fois par semaine mais pas plus. C’est « dans le cadre » de cette permission, dit-il, qu’il s’était mis à casser les chaises. Il paraît que, lorsque je suis arrivé, il m’aurait dit : « C’est vous qui avez écrit le papier sur le match Charron-Dauthuille ? ». Papier qu’il mettait au-dessus des autres, etc.
Jean Mailland ayant écrit les deux versions : « Ce qu’il y a de beau, c’est que chacun le raconte en s’émerveillant de la découverte de l’autre ».

79-XI

Shakespeare, Rimbaud, Molière, Rabelais, Joyce, Proust, Kafka, Michaux et Gatti.
Il n’y a pas de définition du génie. Il n’y a que des génies. On les sent comme tels. (L’analyse ne donne rien.)
Et la supériorité de Gatti c’est qu’il n’est pas limité à sa propre fonction d’artiste. Il a le génie de l’homme – un éclatement dans toutes les directions, dimensions d’une vie.

80-II

Gatti-Boulez
Chacun décidé à ne pas être le Reynaldo Hahn de ce Proust
Ou le Maeterlinck de ce Debussy.

80-29-XII

Nos malheurs ont fait de nous d’incomparables interlocuteurs.

VI-81

Les grands hommes de la guerre
Gerstein – De Gaulle – Churchill.
Les autres n’étaient que des possesseurs de la puissance publique. À ce titre, interchangeables.
Mais pas les trois premiers.

81-XII

Sache qu’un juif n’a de comptes à rendre à personne. Il a déjà payé. Il n’est pas de scélératesse, de crimes qui n’aient été remboursés par lui au centuple.

82-IV

Hugo fait des fautes de goût.
Rimbaud – tout entier faute de goût – fait des fautes de bon goût.

1982-VII

Le Lac, un personnage
Les origines
Mes aïeux étaient du pays de Pont-à-Mousson, de St-Mihriel. Ils parlaient le français de Jeanne d’Arc. Néanmoins, c’était des étrangers en ce pays natal, des sorciers, des voleurs, des bourreaux d’enfants chrétiens dont ils mélangeaient le sang à leurs galettes.
Ils les emportaient à la nuit, fourrés sous leurs lévites, galopant vers cet abattoir à bébés : la synagogue.

82-VIII

Et puisque « Joffroy », je signe mes lettres « J » qui est le « J » apposé sur la carte d’identité de mes père et mère en l’an 1941.

82-VIII

S’il faut revivre, que je revive encore comme juif – et si c’est sous la forme d’un chien, que ce chien soit juif autant que chien peut l’être.

20-IX-82

Massacres de Beyrouth
J’écoute France Musique, pour travailler, et il s’y mêle tout le temps des interférences d’un poste arabe qui diffuse des sourates du coran (sans rapport avec le massacre). Et je crois entendre la prière pour les morts de Treblinka et d’Auschwitz.

83-IX

Dans tout porc anti-arabe, il y a un cochon antisémite qui ne sommeille pas.

83-X, 29

Supprimer le tabac
Mieux manger
Etre moins interventionniste dans mes propres affaires. Ne pas chercher ni attendre des rencontres improbables. Garder seulement l’espoir d’en faire.
Réfléchir chaque fois à un « problème » : USA-URSS, Hitler-Staline, rapports avec les autres, le livre en cours
Investissement à fond dans les rêves du jour, les espérances de moi jeune – pour retenir le jour.

83-XII

J’ai beaucoup vécu dans l’admiration d’un mort (Joyce, connu seulement en 1941 à la bibliothèque de Lyon) et d’un vivant (Michaux, découvert au Parisien libéré en 1945 ou 46 par Gatti : je revois la scène dans la salle des reporters, lui assis me lançant : « Tu connais Henri Michaux ? »).
Deux paralysants – surtout le premier, le second « s’éventant » par la proximité spirituelle, intellectuelle, par l’absence aussi d’un trop grand projet.

84-VI

Mon frère est le premier riche de la famille depuis la fondation de Jérusalem.

84-VI

Je suis parti inconsciemment à la recherche des héros de mon temps et j’ai trouvé, dans la réalité, Kurt Gerstein, Théo, Gatti, le père Maufrais, Gary Hemming (dans l’à peine imaginaire : Mulot et autres). Leurs traits communs ?

1984-IX

Si votre nom vous gêne, changez-en. Ne permettez pas qu’on fonde sur lui les préjugés et les haines habituels. Ne tolérez pas qu’on vous identifie sans vous connaître.

85-VI-20

J.J. L. veut me proposer pour la médaille des Arts et Lettres. Refus gêné (parce que c’est J.J.).
1) Le vieil orgueil : ne rien demander (« Mais on te la propose ! »)
2) La vieille (aussi) tendance à la singularité (« Mais Gatti l’a eue ! »).
3) L’absence de signification de ces honneurs. Les accepter serait ajouter encore de la légèreté à ma vie qui n’est pas exemplaire sous ce rapport.
4) En y réfléchissant : Théo est tombé dans son maquis sans avoir rien reçu – que des balles. Mort dans la pauvreté, privé de 50 ans de biographie. Je sens vaguement que je le rendrais plus pauvre encore en prenant une médaille quelconque qu’il aurait mieux aimée (et, de toute façon, plus « méritée ») que moi.

85-XII

Ma « bonté » ?
Quelque chose en moi serait « bon », volontairement « bon » ?
Or ce n’est que ma capacité (le don que j’ai) de me mettre presque entièrement dans la peau de l’autre, d’éprouver ce qu’il sent à fond, jusqu’à la nausée parfois.
Bonté ? rien qu’un transfert interpersonnel.

86-VIII

Reprendre l’expression même de Rousseau « …Une entreprise sans pareille… » ( ?) comme titre.
Autobiographie.
Je n’ai pas de souvenirs (en continu)
Que des éclairs (flashes)
C’est un livre d’éclairs (pas toujours foudroyants…).
Entreprise Rousseau : orgueil et hypocrisie. Plutôt Proust.
Le chemin moyen.
Pour quoi faire ?
Pour ça.

Autobio
Théo et les parcs
Les filles de l’autoroute
Les mannequins
Locomotions (chalutier, SM, etc.)
Le bris des chaises (D.G.)
La gifle PL
La main refusée
La fabrique du yaourt
lycée de Metz.

1987-II

Lac
Dans Weil, il y a Lévi (serviteur du Temple)
Il y a Evil (diable)
il y a vile (boue)
il y a veil (voile)
il y a live (vie)
il y a viel (âge)
vieux serviteur voilant son diable dans la boue de la vie. (Vieux diable roulant son serviteur etc.)

87-VI

Compris, au retour de la mer de Chine, que j’ai changé de statut. Vaguement pressenti avant (par des questions : « Tu fais toujours des papiers ? »). Maintenant, pour les moindres amis et relations, je suis d’abord l’écrivain. Même un grand, dit S. Chalandon au procès de Lyon (Barbie) qui m’explique en déjeunant « après vos papiers sur les Boat People, j’ai saisi la supériorité de l’écrivain sur le journaliste, qui était déjà claire au moment où Libération a confié le journal aux écrivains et où nous nous sommes sentis dépossédés : c’est que nous ne fonctionnons qu’avec les faits, la réalité. Vous, vous y ajoutez, sans porter préjudice à cette réalité, l’imaginaire. »

87-X

Avec G., voici des années que je n’ai plus l’impression d’avoir affaire à un interlocuteur, à un ami, à un confident – mais à un poème, quelquefois fatigué.

87-XII

Ce qui nous a reliés Dante, Petrus, Bernard et moi (au moins pendant quelques années), c’était l’intelligence. Il n’y avait pas un imbécile parmi nous. Et sans doute aussi l’étendue (par rapport aux gens qui nous entouraient) de la culture. Une allusion suffisait pour ouvrir des bibliothèques dans nos têtes.

Il regrettera toujours la bibliothèque d’Alexandrie.

87-XII

Famille
J’ai une fille
Trois filleuls(e)
Un filleul qui m’a lui-même choisi comme parrain (Frédéric),
Un fils (Palawan) qui m’a lui-même choisi pour père.

88

Gatti : grand gâcheur d’amitiés mais capable d’en recréer d’autres intensément.

88-IV

Le pauvre écrivain construit lui-même sa mine de charbon. Et après, il faut qu’il y aille.

88-I

Ariane :
Sa mère n’étant pas juive, A n’est pas juive non plus au sens de nos rabbins. Mais au sens de la race à détruire – le seul qui nous importe à nous autres – elle l’est. Sous Hitler, elle le méritait, les lois de Nuremberg l’y conduisaient tout droit.

Reçu du Bureau central, Jérusalem – 5 livres
N° 6876
Date : 16/IV/61
Nom : Weil-Joffroy
Adresse : 48 bis rue Custine, Paris 18e
Qui a planté un arbre en Israël de ses propres mains dans la forêt des Martyrs (à la mémoire de mon frère Théo).
(au verso)
« Quand vous serez entrés dans le pays et que vous y aurez planté toutes sortes d’arbres fruitiers… ». (Lev. 19,23)

Ma famille 89

1 fille, 2 petits-enfants, 1 fils adoptant (Truc), 1 nièce adoptante (Xintian), 1 filleul adoptant (Frédéric Hocquard), 1 filleule (Anne-Laure Gatti), 1 filleule (Carole Pays), 1 filleul (- Sappart).

89-X

Boulez, quand on lui a imprimé sa première œuvre !
Les yeux, le fou rire, la tension anarchique du corps. Il était venu nous annoncer ça, à Gatti et moi, au Parisien libéré rue d’Enghien – dans un couloir à l’étage.
J’ai vu ça comme une joie, qu’on allait partager fraternellement mais enregistré comme un bonheur, la figure même du bonheur. Et cette image de 46 ou 47 ne s’est jamais dissoute. Trop forte.

90-IV

Je n’ai pas connu, pas cherché à connaître les célébrités de mon vivant.
À peine un peu Michaux. Je n’ai connu que celles qui le deviendraient.

91-V

Rien de ce que j’écris comme romancier ne manque tout à fait à la touche journalistique.
Rien de ce que je fais comme journaliste n’est tout à fait privé de l’aura romancière.

91-X

À la synagogue
Je l’ai déjà vu, je le vois encore : il n’y a plus de Schnorrers à la synagogue ; ma surprise va jusqu’à l’indignation. Sommes-nous devenus si riches qu’il n’y ait plus de pauvres parmi nous ? Il nous faut des pauvres. Sans eux, nous serions si pauvres.

J’ai avisé un jeune rabbi barbu et lunetté. Je lui ai posé la question des Schnorrers. L’attaque a été si brutale, inattendue, qu’il m’a regardé presque hébété : « Je ne sais pas… ». Mais il voit la pente, il la voit déjà – terrible.

91-XI

Comment je suis Rimbaud
Avec un être que vous pourriez admirer, ne cherchez pas en lui ce qui vous dépasse mais ce qui vous est commun. Et pas forcément dans l’activité même qui vous l’a fait chérir.
Ex. : Rimbaud d’avec qui je pourrais énumérer mes ressemblances : comment « J’aime mieux partir qu’être exploité », « Et si je me plains, c’est une façon de chanter ». « Synovite, hydarthrose » au genou droit, aller faire du journalisme à Paris, le fait forcené du déplacement, le dédain des gens de lettres, etc.

Jeudi 7-II-91

Coup de fil de Gatti vers 22 h. D’Avignon où il neige. Me demande d’abord de voir ce qu’il en est de l’épisode du Déluge au plus près du texte hébreu. (L’iconolâtrie de l’église lui semble suspecte jusque dans ses traductions.) Les mots qui servent vraiment à dire le Déluge. Puis brusquement : « Je ne te demande pas de réponse immédiatement, je te demande d’y réfléchir… Étant donné l’âge, le peu de temps, j’ai été pris d’angoisse… On va se présenter devant l’éternité et on n’a encore rien fait ensemble ! Ne réponds pas immédiatement mais peux-tu réfléchir à la possibilité d’écrire le bouquin chez Seghers ? Poètes d’Aujourd’hui… Le Gatti… 50 feuillets pas plus… ». Me souviens que c’était Tancelin qui avait proposé la chose à P. Fournel.

91-XI (2)

La langue française pour amour ! Aucun couple d’humains ou de dieux n’en a vécu de tel, aucun soleil ne s’est levé plus magnifique que sur notre lit. Nous aurions pu vivre en amants, toujours, elle était d’accord, mais il y avait les enfants : nous nous sommes épousés. Nos livres grandissent dans l’ombre chaude de nos étreintes.

92-V-6

L’artefact ébloui
Mon autobiographie, si je l’écrivais : une histoire de faux nez.
Noms, attributs, travaux, passades, passions, le travail n’a pas manqué dans la forge de mes faces. Je n’ai jamais été que mon semblable (mon frère à la rigueur) – pas moi. Même le petit garçon de H (Hayange) n’était pas moi – ce moi qui me survivra (il lui faut bien une vie) sans que je sache comment.
C’est pourquoi celle qui m’a si magnifiquement aimé pour moi, indifférente aux constructions et aux soudures accumulées, et qui m’a reconnu tel que je ne me connais pas (sans d’ailleurs me dire le secret de sa lucidité), celle-là a son tabernacle dans le cœur de moi.

Vendredi 28-II-92

Vers 21 h, cdf de Gatti, retour d’Israël. Hâte de parler. D’abord, mission accomplie pour la remise du livre de bord du « Guardian » (Th. Herzl) au musée des bateaux pirates. Pour le reste : « Mon impression : il n’y a plus de juifs en Israël… Hitler a gagné la guerre… Je me suis trouvé dans un État américain… Chez les cabbalistes, les religieux, l’accueil a été très très bien… Ce qui m’a mis K.O., c’est St-Jean-d’Acre. On y joue une pièce (« Arbeit macht frei »), je l’ai vue. Le plus grand succès théâtral d’Israël. Tout y est, des recettes à la Grotowski, etc. Mais sur Auschwitz ! … La bouffe, l’exhibitionnisme, la masturbation, le sadisme – pas symbolique, réel sur le théâtre… Il y a eu quand même le bouleversement de Jérusalem, c’est la ville où il faut vivre. Dans les trois asiles psy de la ville, 80 % des malades ont le « syndrome de Jérusalem » : ils sont fous de Jérusalem…
Après le coup de téléphone, je me suis mis à penser à ma propre impression de Jérusalem – et des lieux en général. Découverte : je n’aime pas le mur (mais les bateaux), je n’aime pas la montagne (mais on a des alpinistes), je n’aime pas Jérusalem (mais les « fous de Jérusalem »), je n’aime aucun lieu, aucun paysage sauf si c’est celui d’un visage splendide ou ruiné. Et si j’aime Lhassa, c’est justement, ou précisément parce que ce n’est pas un lieu mais un rêve.

IV-93

Les 4. Tous les deux (G. et B.) des créateurs du monde (une idée, une perspective, un groupe, des combats à grande échelle), tandis que Saby et moi, pour peu que nous nous sentions « créateurs », c’était à l’échelle seulement de nos propres écritures. Et nous nous disions, moqueurs, que les deux autres ne cohabiteraient pas éternellement dans le même…
Ce qui se vérifia. (Amis, pourtant, s’aimant et s’estimant sans se revoir dans une fraternité crispée.)

93-IV

Les 4
On se voit rarement, presque accidentellement.
Pourtant : aucun éloignement de cœur ou de raison.
Simplement : la séparation des routes – la nécessité de la poursuivre seul.
C’était déjà là dans les années 45. On le savait…
On le savait moins.

93-VI

Pour le jeune journaliste que j’étais dans les années 45-50, le bonheur de l’article terminé se conjuguait toujours au pluriel. Il y avait ma délivrance d’abord (vécue sur le mode lyrique de l’accouchement) ; puis le plaisir de voir ou d’entendre le ou la sténo à qui je dictais s’émouvoir ou se marrer en tapant sur les touches ; une heure après, quelqu’un du secrétariat de rédaction, parcourant les feuillets, répétait la même séquence, et parfois un typo quand j’allais, négligemment mais les pavillons bien ouverts, traîner au marbre ; le lendemain matin, un ou deux amis me parlaient encore de ce papier merveilleux (il l’était toujours). Mais à midi, c’était fini. Il ne fallait plus m’évoquer l’œuvre de la veille et du matin, absolument plus – comme si j’avais senti ou deviné ou compris qu’en éternisant mes bonheurs journalistiques je me rendrais impossible l’accès à la littérature.

93-IX

Abondante privation
On me plaint – quand je me raconte – d’avoir eu vingt ans en 1942, dans la quatrième année de la guerre (année aussi du Protocole de Wannsee qui réglait l’anéantissement des juifs).
J’interroge ma mémoire.
Qu’est-ce qu’ils racontent ! dit-elle. Toi, privé de ton adolescence ? Toi qui as reçu autant d’affection, d’amitié, de joie, d’amour heureux ou malheureux que tes pareils à toute époque ! Et qui as reçu en plus la faim, la détresse, la terreur, la démence qui ne leur étaient, à eux, ne leur sont jamais promis. Tu le savais déjà en 1942 : ce serait l’invendable trésor de ta vie (si tu t’en tirais), tu n’aurais plus rien à apprendre. Pour toujours, il te suffirait de ne pas bouger de ce point, de cet invisible mais indestructible point de l’an 42 d’où nulle extase ne peut commettre l’oubli de l’effroi, d’où le plus grand deuil n’est jamais en état de gazer l’espérance.

93-IX (2)

Je suis quelqu’un de toujours perdu. Où que ce soit je n’ai jamais su, pu me repérer. Mes mouvements sont désorientés. Aucun sens de l’espace ou alors un sens perverti qui me fait régulièrement choisir, entre deux directions, la mauvaise.
Mais cet homme que je suis sait toujours, à cinq minutes près, l’heure qu’il est. Aucun besoin de montre. Le temps et mon espace. Quand je m’en suis rendu compte, tardivement, j’ai compris pourquoi je révérais l’histoire, l’archéologie (J’ai voulu être archéologue), les voyages dans le temps tandis que je dédaignais la géographie, la terre, le ciel, la mer, les paysages (un regard et j’en ai fini avec eux).Je n’attends rien de l’espace. Je n’y suis pas. Il est 18 h 23 : voilà où je suis.

1993 ou 1994

Le 1er poète – Dante II
Je me suis approprié les beautés
de tes œuvres, sans jamais les violer
Nos refroidissements n’étaient
pas des gelées.
Ce qui s’est passé le 15 juillet 45
(si je m’en souviens !) demeure
ce qui se passe aujourd’hui.

17-III-94

NE PAS OUBLIER !
NE PAS OUBLIER !
Cette misère, cette loque, ce rien que je suis.
Suspendu, comme une bête, à des
Eclats, des éclairs, des superstitions, des coïncidences.
Tout le corps priant sans l’avouer – par une fierté dont on abdique absolument tout, sauf
l’air qu’on aurait face aux autre. Prêt à tous les serments, supplications adressés aux maîtres de mon sort, c’est à dire à tous et à tout. À tout.

98

Dans mes « egoflashes » parler du fils de Théo. Donner les noms de sa mère, de lui-même.
Les visites de la mère à ma mère avec le petit.
Mais la mienne (de mère) ne voulait pas accepter la situation. C’est le seul manque de sensibilité que je lui ai connu.

S. d.
Ce que je veux
Diminuer – par l’exercice de mon art et de ma charité – le poids de chagrin du monde.

1999

Sur G.
Il voulait la gloire. Par chance, elle (sa gloire) l’évita. Il ne fut que célèbre, fameux, un illustre inconnu – un génie-culte, etc. (La femme de Loth). Elle se retournait sur le passé et fut changée en statue de sel. On peut encore la voir sur une hauteur de la mer Morte. G. de même… Et c’est pourquoi le vent l’a changé en statue non de pierre mais celle qui barre le fleuve de la gloire et que tout le monde connaît. Il mange en grain ce qui ne lui fut pas donné en semence.

Bio

Né à Hayange (en une certaine année).
École primaire Hayange.
Lycée de Metz (pensionnaire).
Lycée de Thionville (1/2 pensionnaire).
Évacué de Lorraine (1939).
Lycée Condorcet Paris (1940).
Réfugié à Lyon (1941). Études à la fac de Lettres.
Tentative ratée d’évasion de France (1942).
Tentative ratée d’entrée dans l’armée de Lattre (1944).
Tentative réussie d’entrer à la censure militaire (1944).
Puis les journaux : Progrès de Lyon, Parisien libéré, Détective, Paris-Match, l’Express, Elle, Libération.
Et les livres.

Ma culture, qu’est-ce que c’est ?

Essayer de faire la liste.
Anglais, allemand, italien
Teinture d’espagnol, portugais, latin
Mots de chinois, grec ancien, hébreu
Connaissance de l’écriture gothique allemande, grecque, hébreu.

Religions : connaissance des monothéismes, du bouddhisme, taoïsme
Confusionnisme,
Philosophie : aucune à fond. Teinture de toutes
Sciences : teintures – à peu près rien en mathématiques et chimie.
Politique : tout. Le fonctionnement des sociétés.
Histoire : la vue générale et quantité de détails.
Littérature : vue générale et quantité de détails (avec de larges vides).
Quotidienneté : presque tout, ici et ailleurs.
Arts : musique tout – peinture et sculpture : connaissance approximative (dénuée d’un véritable goût).
Savoir-faire : yaourt, pain, bière, électricité, petite menuiserie, bricolages.
Sports : connaissance (jamais pratiqué).

Sans date.

Gatti
Ami mais pas cultiveur
D’amitié. Ami sans bêche ni arrosoir.
Aussi, quel choc, quelle douleur
aux gelées de la mort ! Il
pourrait les pleurer sans fin,
ces lilas qu’il n’a pas
arrosés

Ces jours superbes du voyage, ces découvertes, ces heures surmenées, ces mystères iniquités, ses malheurs mais ses fêtes aussi, ces visages exaltés multipliés par la course en avant fournissent des textes compacts et précis qui paraissent dans le P.L. puis dans France-Soir, Libération (1ère formule), l’Express, France-Observateur, Esprit, Paris-Match. Arpentage du connu, recensement des possibles : le ton Gatti apparaît dès qu’on compare sa prose à celle de ses confrères d’alors ; avec lui, le reportage ne veut pas être la description d’un lieu, d’un temps, d’une situation, il ne le peut même pas, il éclate spontanément sur tous les plans de l’espace et du temps ; le Guatemala millésimé 1954 se fait voir comme l’émergence occasionnelle – et vite renfoncé dans sa fosse – d’un univers pluriséculaire, énorme et onirique où voisinent la conquête du XVIe siècle, le colonialisme à l’arquebuse, la croix chrétienne et le gibet des esclaves, le mercantilisme, la terre volée, les dieux, l’art, la folie, la dictature, la police, les armées, l’homme qu’on écrase. Une totalité trépignante. Mais tandis que l’occasion-prétexte redescend au tombeau sous les coups, Gatti, ravalant son chagrin d’homme va, une fois quittée la presse, faire renaître cette totalité dans autant de pièces qu’il en faudra pour répéter autrement le parcours salarié. Il y aura pour le Guatemala : le Quetzal et le Crapaud-Buffle, pour l’Asie : le Poisson Noir, Un homme seul, V. comme Vietnam.
Ce qu’a semé le regard du reporter, un poète va le moissonner.

S.D

D et I
D et Wang (au bar P.L.)
D à Percevalière (la table ronde)
D rue Bré (affaire algérienne)
Exit frater Joffroy, couvert de blessures.
Reste le camarade.
Je l’avais accepté comme il était. Lui pas – ayant délimité dans l’individu rencontré en 45 ce qui était acceptable pour lui, dédaignant le surplus. C’est une révolte du surplus.

L’amitié existe toujours. C’est l’ami qui n’est plus.
Sur D à Chris qui me téléphone X-64