93-VI

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Pour le jeune journaliste que j’étais dans les années 45-50, le bonheur de l’article terminé se conjuguait toujours au pluriel. Il y avait ma délivrance d’abord (vécue sur le mode lyrique de l’accouchement) ; puis le plaisir de voir ou d’entendre le ou la sténo à qui je dictais s’émouvoir ou se marrer en tapant sur les touches ; une heure après, quelqu’un du secrétariat de rédaction, parcourant les feuillets, répétait la même séquence, et parfois un typo quand j’allais, négligemment mais les pavillons bien ouverts, traîner au marbre ; le lendemain matin, un ou deux amis me parlaient encore de ce papier merveilleux (il l’était toujours). Mais à midi, c’était fini. Il ne fallait plus m’évoquer l’œuvre de la veille et du matin, absolument plus – comme si j’avais senti ou deviné ou compris qu’en éternisant mes bonheurs journalistiques je me rendrais impossible l’accès à la littérature.