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1957

Pierre Joffroy était son nom de plume. Maurice Weil celui de l’etat civil.
Né en 1922 À Hayange  en Moselle, il monte à Paris en 1945 après être passé par Lyon où il s’était réfugié en 1941, rejoint plus tard par son frère Gilbert .
Entré au Parisien Libéré dès son arrivée dans la capitale il réalise un de ses premiers reportages en s’embarquant sur un « rafiot « chargé de juifs européens  rescapés des massacres nazis.

Ici commence l’histoire des carnets dont certains disparaissent à l’occasion de ce voyage en terre de Palestine en 1947.
Il s’agit d’un petit agenda (un par trimestre) sur lequel il note rendez-vous, rencontres, conversations téléphoniques, lectures, sorties, projets et ceux de ses amis.
Le format n’autorise pas le développement comme encore moins les épanchements (même si on trouve quelques cris du cœur).
Ces carnets pourraient être (sont) comme une gigantesque table des matières d’un livre à venir, un vaste index qui renvoie à autant de pages qui ne sont pas encore écrites.
Au commencement était le verbe. Reste à trouver la suite.
À vous de lire ce projet de « livre total » .
À vous de nous donner des informations complémentaires que la lecture de Ces 20 premières années (1947-1968) vous inspire.
La suite, 1968-1980, puis 1980-2000, paraîtra dans le courant de l’année 2021.
Les carnets n’avaient jamais été lus, ni déchiffrés avant 2008. Ils ont été photocopiés puis déposés à l’IM.C.(Institut Mémoires de l’ Edition Contemporaine) avec les archives de Pierre Joffroy où ils peuvent être consultés.

1er janvier 1957

Vu la nurse, Melle Closier, puéricultrice, dit-elle. 20 sacs.
Crise interne : M.C./mère. L’une voulant être chez soi, l’autre demeurer chez ses enfants. Finalement, maman partira pour Hayange le 15. Conclusion : on va chercher un appartement, laissant celui-ci pour maman.

2 janvier 1957

A midi, déjeuner Gatti, Mme et les enfants.

7 janvier 1957

Maman navrée et triste : parce que je lui avais dit, sans ménagement, qu’elle ne pouvait pas loger en bas. Aujourd’hui, tout s’est arrangé. J’étais plein de remords.

12 janvier 1957

Saby à déjeuner. Il va m’envoyer une de ses toiles « pour qu’elle reste dans la famille ». Furieux contre le propriétaire de la galerie, Clarac-Faron, qui, malgré la vente de sept tableaux, lui a laissé les frais d’exposition (125 000) plus les 30 % qu’il a pris normalement.
Avec Beï, Hélène et Danielle à la comédie des Champs-Elysées spectacle Brecht : poésies, chansons et scènes. Bon. Envoûtant.

15 janvier 1957

A 20 h 30 avec Borsalon, Farran au restaurant vers l’Odéon pour y dîner avec Kerensky, l’ancien maître de la Russie, juste avant Lenine. L’hôte : Charles-Henri, fils naturel de Painlevé. Egalement la duchesse de La Rochefoucault et un directeur de journal. Rentré 24 h.

16 janvier 1957

Mort de Toscanini.
Dîner chez Michel avec Dante et son ami Espagnol guatémaltèque – et Asturias et sa femme. Ils reviennent de Chine. Lui : grand, assez lourd, front dégarni, nez moyen, deux taches à la base de sa tempe droite. On parle dictature au Guatémala, l’exil, la misère des pays latino-américains. Gatti a proposé un film avec « Hommes de maïs ». Il accepte. Il lui propose de réunir ses articles sur le Guatémala pour en faire un livre à éditer à Buenos Aires. Sorti 24 h.

17 janvier 1957

Mère partie pour Hayange. Lui ai téléphoné. 20 h 30 rue Richelieu : dîner grands reporters. De Caunes, JBD, pas Helsey. Un nommé Danger aussi de France Soir, poivrot de belle envergure.

18 janvier 1957

Desgraupes de la TV me téléphone pour son émission.
Aidé Sabathier à achever son papier sur Humphrey Bogart.

21 janvier 1957

Reçu le tableau de Saby qu’il veut laisser « dans la famille ». Au cocktail pour le mariage de la fille Bonheur avec un Jean Marvier. Beï avec moi.
TV : enregistré avec Desgraupes une émission sur le livre.

24 janvier 1957

Téléphoné Gatti après avoir relu « Hommes de maïs » (choisi « Marie Tecum » pour un éventuel film financé par Mataruzzo, paraît-il).

26 janvier 1957

Avec Beï, pris à 11 h 50 train de Grenoble. Départ 12 h 05.

27 janvier 1957

A 7 h du matin, nous sommes à Dijon ! Un wagon a brûlé sous un tunnel et nous sommes passés par Orléans. Résultat : à l’Alpe d’Huez à 14 h. Pas de chambre tout de suite. Hôtel « La Vallée blanche » 1 750 par jour par personne.

8 février 1957

Train pour St-Gervais. Chez la sœur de M.C. à Passy. Devant le Sancellenoz, sana de riches, un ouvrier dans le car : « Ils ont beau faire, ils sont comme les autres. Ils sont tubars aussi ».

9 février 1957

Car pour le Fayet. Train Paris.

15 février 1957

Chez Guérin pour le genou. Ponction et cortisone.
Le gouvernement gagne la partie algérienne devant l’ONU. Pas d’intervention. Mais le problème reste béant.

16 février 1957

A l’Alliance française, vu « les Coréens » de Vinaver. Faible. Journée de fatigue et de tristesse, accentuée par un coup de fil à Hayange et des disputes ici.

17 février 1957

Ciné la Pagode : « Que viva Mexico » d’Eisenstein – en version abrégée (Time in the Sun), un Charlot boxeur et Symphonie mécanique sur une musique concrète de Boulez.

21 février 1957

Terminé révision des nouvelles (une guérison).

22 février 1957

Danielle téléphone que Bernard a eu le Prix Fénéon (peinture – en littérature, c’est Michel Butor). Berne-Joffroy a décroché l’affaire. Envoyé un message de félicitations – puis coup de fil de Bernard au journal : « Qu’est-ce qui ne vas pas, Gros ? »

23 février 1957

Concert Boulez à Gaveau : du luth (Elisabeth ), trio de Webern et quatuor de
Un autre de Schönberg soporifique. Boulez à New York avec Barrault. Vu Saby encore tout frétillant de son succès – Paule.

26 février 1957

Av. Colonel-Bonnet, vu Kateb émacié chez Bernard. Il voit le FLN mal en point. Progrès cocos. Avec Bernard, expo Allegon (ami de Labarthe, dont l’œuvre n’intéresse guère Saby), puis chez Drouin (Michaux, Dubuffet, Bettencourt), puis rue St-Honoré (où se trouve exposée la peinture de Bernard primée). Chez lui, avec Pagès, photo d’une de ses toiles pour un catalogue.

28 février 1957

Vu Goulon qui veut des papiers de gens de Match (sa maison est en baisse).
Sur coup de fil, je vais à Europe où, au lieu de siéger dans le jury, je suis l’interwievé des candidats. J’espère m’en être bien tiré.

2 mars 1957

A déjeuner avec Kateb qui trouve toujours un café exécrable. Au dessert, Menant que j’accompagne chez Mullot pour l’éventuel achat d’une Frégate.

7 mars 1957

Carte de Boulez – vue d’Alcatraz avec « I wish you were here ! ». Relecture d’Au-dessous du volcan ».

12 mars 1957

Vu Chris Marker d’accord pour « Brésil » d’ici les vacances. Coupé cheveux brosse.

15 mars 1957

1ère dent d’Ariane. Signé contrat Brésil.

17 mars 1957

Flèche d’Or avec Beï pour Londres 12 h 30. Cantorberry : tempête, tous malades. Londres – Sallebert, Michel Simon, Madeleine Jacob, Pottecher. Dîner restaurant français Marcel.

18 mars 1957

Procès Adams. Old Bailey, froid, perruquard, ennuyeux. Old Bailey à mourir d’ennui.

20 mars 1957

À l’audience jusqu’à midi, puis papier.

21 mars 1957

Fin papier et dicté à Jacqueline du bureau Sallebert. Vu Farran et Le Bailly venant de Dublin ; ils ramèneront le papier.

24 mars 1957

Avec Pottecher. Relève de la garde à St James, incroyable musique : St Louis blues éclatant au milieu de cette parade de style ancien. Puis, Hyde Park : Speaker’s Corner. Un conservateur moqué par des ouvriers. National Gallery (la Vierge aux rochers, la Bataille, des Seurat, etc.), puis High Gate sur la tombe de Karl Marx. Sa tête sur un gros socle. Fleurs des P.C. du monde. Un monument neuf, l’ancien détruit par les V2.

25 mars 1957

Rentré midi par Flèche d’Or, à Paris 22 h. Reçu de Mme Maufrais lettre remerciant pour les droits d’auteur reçus.

26 mars 1957

Mort de Edouard Herriot à Lyon.

27 mars 1957

Vu un ricain de qui me ramènera un 8 mm ou P4. C’est un ami de Menant.

30 mars 1957

17 h 30. Concert Boulez. Cherché Dante. Retardés par une manifestation d’énergumènes genre A.C. sur les Champs-Elysées. 1 œuvre de Boulez. Vu Jacobs, Paule, Flinker, Toussaint. Pris rendez-vous avec Boulez pour un dîner tous ensemble, avec Dubois aussi.

2 avril 1957

Vu Prouvost qui m’envoie faire l’affaire Montesi.

3 avril 1957

19 h 55 train de Rome avec Thérond et Pernoud. Affaire Montesi.

4 avril 1957

Arrivée 14 h. Pilati à la gare. Vu la Le Tellier et Silvio Gellardi. Dîner chez Pilati puis au Rosat : rencontre avec eux d’un mannequin (enceinte) et d’un pédé (allemand).

5 avril 1957

Fatigué. Avec Le Tellier et Benno, à Ostie et à Tor Varanica. Dormi l’aprèms, puis avec L.T. dîner et cabaret Victor (devenu Club 8 à la suite d’une histoire de drogue). Vu Benno et Thérond. Parti. Dormi.

6 avril 1957

Lettre de Beï : Mon livre proposé, dit-elle, au Prix de l’académie. Dîner au Jardin d’hiver.

7 avril 1957

Chez les Montesi (dont l’avocat autorise des photos contre 100 000 F). Tristesse – la mère, la fille, le fils, le gendre. Puis, dans la banlieue, l’atelier du père, fait de ses mains. Train pour Florence avec Le Tellier. Retrouvé Pilati au bras de la fameuse Caglio, le « Cygne noir ». Photos à Fiesole, dîner près de la Signorie.

8 avril 1957

Photos avec la Caglio (Pilati l’a eue) au jardin parmi les cygnes, dans sa pension puis déjeuner et train de Venise. Lu dans le Figaro que Boulez serait appelé à créer une œuvre aux concerts Lamoureux rénovés. Arrivée à Venise sous une pluie battante. Hôtel San Marco.

9 avril 1957

Elisabeth II arrivée hier à Paris. Les journaux français sont pleins de ces vétilles. Lido avec Le Tellier : gagné 10 000 lires.

10 avril 1957

Procès Montesi de 9 h à 14 h tous les jours.

11 avril 1957

Le Tellier, faisant des photos de la salle avec le Minox, est vu par un lieutenant des carabiniers et interpellé. Film confisqué.

12 avril 1957

Procès. Le soir, poker au Marco.

13 avril 1957

Procès. Puisque Montesi, violemment attaqué, se défend pied à pied, à la fin le substitut entame la procédure des poursuites. Le procès reprend après Pâques. Pour nous, c’est fini. Train de Paris 17 h 15.

18 avril 1957

Remis papier, jugé bon par Valini, Collin, Thérond. Prouvost le lit, refuse de le passer. Farran me le rend : « Tu n’as pas fait ce qu’il voulait ! Et puis c’est déprimant, c’est l’Enfer de Dante ». En réalité, la « bonne société » y prenait quelques coups. On n’aime pas tellement ça à P.M. (Gaston absent…)

23 avril 1957

Vu Dante chez lui : dactylographie pour Martin. Dante me donne son « plan de pièce », colorié, divisé, raturé. Magnifique.

24 avril 1957

Avec Dante, vu Zigel de l’Express pour le papier. Réponse : vendredi.

26 avril 1957

Vu Gaston. Remis papier Townsend. Demandé si je peux passer Montesi dns un autre journal.

28 avril 1957

Deux ans de mariage. Chez Michel (mais il n’était pas là, sa femme étant très malade. Un gérant idiot). Puis cinéma « Notorius » d’Hitchkock avec Bergman et G. Grant.

30 avril 1957

Comité des GRF, au Crucifix. Helsey, JBD, Blanchet, Fontaine, Menant, James de Coquet (qui me fait mille amitiés pour avoir lu « Dévorante Amazonie »). JBD a travaillé enfin. Grand Prix du journalisme en vue, retour probable de Labarthe. Pour le Prix Londres, on parle de Puissesseau, Cournot et quant à Driand, il est trop âgé, dit-on et, l’an dernier, un provincial l’a déjà eu.

1er mai 1957

Beau temps. Le soir, explication avec Melle Closier, la nurse, dont tout le monde se plaint (caractère, agissements, mécontentement de tout). Je lui donne ses huit jours. Elle proteste, demande un délai pour trouver autre chose, invoque ses vieux parents pauvres. Elle gagne. Nous ne pourrons jamais être des « patrons »…

2 mai 1957

Robinson reprend le titre de champion du monde pour la 3e fois.
Avec Dante, chez Bernard pour choisir une toile à Gilbert, puis rue du Dragon chez les Michel, enfin, avec Menant et Dante, rue Rodier aux « agapes de la Brocante ».

3 mai 1957

Mort d’Albert Béguin d’Esprit. Terminé de lire « L’Emploi du temps » de Michel Butor. Beaucoup de talent – pour un résultat peu probant (quoi que bien loin d’être négligeable).
Chez Dante, Chris Marker et Lartigue pour le voyage en Corée.

4 mai 1957

Opération lundi 20 mai. Avec Gilbert et Jacqueline, rue Custine : un appartement au 7e qui me plaît (terrasse). 8 M. Le matin avec Dante à la répétition de son spectacle pour l’indépendance d’Israël (9e anniversaire).

6 mai 1957

Vu l’appartement de la rue Custine avec M.C. – les plans plutôt. Ça lui plaît mais que c’est cher ! Il va falloir emprunter.

8 mai 1957

Chez Gatti. Boulez là. Discussions habituelles.

9 mai 1957

Versé 3 millions pour l’appartement. Visionné chez Menant mon premier film (noir).

10 mai 1957

Papier Costello (gangster blessé d’une balle à N.Y.).
20 h chez Toussaint, petit dîner officiel avec Dubois, Bernard, Dante et Petrus (qui s’éloigne vers 21 h ayant une réception chez Gaveau). Dubois en forme parle de sa nomination à la P.P., de Beylot, de Prouvost, de Match et de la petite bande (Lacaze, Garone et Thérond), du sultan, de Moulay Hassan, de Lazareff, des agents de police, des motards, du café au lait, de Casablanca et d’autres choses encore.

14 mai 1957

Terminé lecture du « Poisson noir » de Dante. Un chef d’œuvre.

15 mai 1957

Rendu le poisson noir. Dante me parle de sa nouvelle pièce. Lui propose de l’appeler « Gare de l’Est » et suggère l’apparition d’un soldat allemand oublié dans un cercueil sur une voie de garage.

16 mai 1957

Prix Londres (25e anniversaire), Kessel, Dante, Mouriès, Guillain, Lartéguy, etc. Dante et Guillain qui ne se sont pas vus depuis la Chine se saluent cordialement. Suis à la table d’Helsey et Jeff. Il a vu hier soir Titus Andronicus au théâtre des Nations, pièce incroyable, dit-il, mais génialement mise en scène par Peter Brook et jouée supérieurement par L. Olivier. Il termine un reportage sur l’Afghanistan. Je lui parle de la pièce de Dante. Il veut la lire et en parlera à Brook.
Demain, nouvelle radio de mon genou.

18 mai 1957

Menant au téléphone : André Frédérique s’est suicidé au gaz, on l’a trouvé hier vers midi. Il a laissé deux lettres : une à son meilleur ami, l’autre à l’actrice qu’il courtisait et qui… ? Sur le tableau des vacances, à tous les mois, il avait écrit son nom : vacances perpétuelles (je crois l’avoir vu, il y a deux ou trois jours, en train d’écrire ses lettres).

21 mai 1957

Vu « Celui qui doit mourir » de J. Dassin. Film excellent.

22 mai 1957

Guy Mollet battu hier. Crise ouverte.
16 h cimetière ancien de Boulogne. Enterrement de Frédérique par un beau soleil. Des hélicoptères d’Issy couvraient la voix de Bonheur qui parlait : « il m’apportait sa première œuvre : le recueil des farces et attrapes, c’est ce dont il a fini par mourir ».

24 mai 1957

Entré à la clinique des Diaconnesses, rue du Sergent-Bauchat. Maison protestante. Grand jardin potager. Chambre au 3e et la bible sur ma table.

25 mai 1957

6 h réveil, toilette. 7 h vêtements d’opéré (camisole et bottes). (…) Le chirurgien Postel dans l’aprèms : le ménisque n’a rien. Peut-être tuberculose osseuse.

26 mai 1957

Visite de Dante. À la radio j’écoute la coupe de France Angers-Toulouse que Toulouse gagne 6-3.

27 mai 1957

Rêvé : je me promène avec Mao-tsé Toung, exilé, à une heure d’avion de Pékin, dans une résidence de campagne, immense, pareille au palais disparu de Ts’in, premier empereur. Menant doit venir me prendre en voiture mais tombe en panne avec sa nouvelle voiture (Frégate) et vient en taxi. À la maison à 14 h 30.

28 mai 1957

Mardebail m’écrit une lettre : il sera libéré le 5 juillet (conditionnelle) et déborde de gratitude pour Guérin et pour moi.

29 mai 1957

Dante téléphone : à France Soir, on lui a dit qu’il était payé indûment depuis octobre ! Je lui arrange un coup de fil avec Kenel (pour voir Gombault).

4 juin 1957

Au journal, ma lettre à Gaston (sur les répartitions) a trouvé l’accord général : Bisieux, Maquet, Pernoud, Chaland, Laville.
Dante a trouvé une place à Détective – mais me demande de ne le dire à personne. J’ai passé par là.

5 juin 1957

À Gennevilliers, CTM, avec le metteur en scène Menegoz pour voir son film sur la Chine : « Derrière la grande muraille ». Très bon (séquences du soudeur, du poseur de rails, des hommes halant un vapeur sur le Yang tsé) : il veut que je fasse six lignes pour le générique. Fait les six lignes.

6 juin 1957

Projets : film des 2 déportés – Bartleby – conte de Noël. Benito Cereno.
Dante a reçu des offres de l’Express : enquêtes, et peut-être incorporation. Je lui conseille de ne pas lâcher Détective en attendant.

12 juin 1957

Pris R.V. avec Gaston pour déjeuner lundi. 21 h Menegoz ici pour abréger le générique Chine.

13 juin 1957

Prix Armorin (Helsey, Kessel, Guillain, Gaulon, Wolff). D. Pellut, de l’Union de Reims, primé pour une enquête sur la chirurgie. Reconduit Jeff. Parlé de Dante, du film… Vu Le Bodo, Saulnier au sujet des histoires Match en cours.

14 juin 1957

À Clichy, déjeuner Rognoni, retour de Corse. Il doit se marier en septembre ! Parlé de son roman que je lui rends. Vu Fontain de France-Soir, lassé et qui aspire à Match. Examiné les procédures.

16 juin 1957

A 14 h Gatti pour révision de son papier « Express » sur les vacances. Excellent !

20 juin 1957

Lettre de Calder, qui part pour 4 jours à Bâle (expo à la Kunsthalle). Il m’invite à Saché. Déjeuner Bonheur-Mille remis (bac de la fille de Gaston).

21 juin 1957

Parlé à Gaston de Dante pour entrée éventuelle. N’est pas hostile mais il y a une offensive d’économies en train…

24 juin 1957

Coup de fil de Dante qui a vu Desjardins. Réponse : « Je ne sais pas qui de Joffroy ou de toi Bellanger déteste le plus ».

27 juin 1957

R.V. Calder au Madison. Après café des 2 Magots, puis réception du Seuil où je le cornaque (Flamant, Cayrol, Robbe-Grillet, Glissant, Dante, P. Kessel). Après, les No japonais au théâtre Sarah Bernhardt (théâtre des Nations) avec Dante. Rentré minuit. B. furieuse. À midi, j’avais déjeuné avec Bonheur, Marquet, Croizart. Bonheur d’accord sur la nécessité de reprendre la revente. L’histoire TV (il a parlé d’excroquerie) se termine.
Dante me dit qu’il a été contacté par d’Astier pour un poste de rédacteur en chef à « Libé » pour en faire vraiment un journal de gauche. ‘Le Poisson noir’ sera édité.

1er juillet 1957

Revu Collin après l’algarade de samedi. Piteux. L’ai pris à part et sermonné (sa crise dirigée contre ses camarades, le chantage au suicide). Il proteste faiblement. Les autres (Menant, Sabathier) le reprennent. Son papier sur Foucault, sur ces entrefaites, est accepté et un autre lui est commandé par Merlin.

4 juillet 1957

Molotov, Malenkov, K et Chepilov limogés pour opposition à la détente Est-Ouest et questions économiques. (Peut-être aussi crise hongroise.) De cette façon, liquidation des derniers staliniens.
16 h mairie du 2e. Mariage de Gilbert et Jacqueline en petit comité.

5 juillet 1957

Chaleur encore pire. Une sécheresse qui fait crier les enfants au fond des cours. 23° la nuit la plus chaude depuis 80 ans.

7 juillet 1957

Mariage de Gilbert à la synagogue de N.D. de Nazareth. Musique, fleurs, attente, Mendelsohn (Dante en chapeau claque, Menant, un photographe de Match, Périmont). Hôtel du Palais d’Orsay : 300 personnes.

10 juillet 1957

Envoyé 5 000 à l’éternel Masdebail. Alex Ancel mort dans un accident d’auto.
Le mariage de la dernière fille de tante Jeanne, annulé par suite des exigences du Monsieur.

12 juillet 1957

Coup de fil de Dante – à qui tout sourit (contrat pour le Poisson noir, engagement à Libé). Dubois me fait entrer dans son bureau. Que faire, dit-il, pour rendre P.M. moins cocardier, réac, etc. ? Cartier ! Il tape sur les informateurs réac (Le Tac, Poillet, heureusement vidé). Il raconte ses souvenirs du Maroc (le coup du drapeau que 3 officiers voulurent refuser à Rabat et Lagny les envoyant faire les farauds en Algérie). D. craint un coup dur en automne. « Il y a des général Faure dans l’armée ». (Moi, je vois ça en été.) De toute façon, il juge idiote et démentielle la politique algérienne. « Pourquoi ne fait-on pas comme l’Angleterre ? Pourquoi ne pas donner, et vite, l’indépendance ? Mais non. Vous savez quels sont les conseillers du gouvernement : un général Lecomte, un Dides, un Beylot. »
Collin me confie le manuscrit de « Bernadette », à charge de le faire éditer.

13 juillet 1957

Chez Dante : 1) à Libé, on le prendra comme rédacteur en chef pour relancer le journal et lui en ajouter un autre – groupant la gauche. 2) il me demande mes « nouvelles » pour le Seuil ou Lescure.

16 juillet 1957

Marcolès – cimetière et l’Enseigne. En prenant de l’essence à la sortie d’Aurillac, fais connaissance de Gourny ou Cournille, chef de maquis de Théo. D’après lui, Théo aurait commis l’imprudence de fréquenter une fille, Francesca, qui dénonça le maquis. Quand il fut tué, elle piétina son corps. Deux jours après, elle fut exécutée par les résistants et son cadavre enterré dans un jardin. Il y est toujours.

18 juillet 1957

Céret, Amélie-les-Bains. De là, par une route étroite et périlleuse, à Montalba, un nid d’aigle avec deux ou trois maisons, un cimetière, une église fermée à clef. Peu d’habitants (1 ou 2 familles), mais personne pour nous regarder. Coin de contrebandiers, jadis florissant. La route s’y arrête net. Mais pourquoi cette route ?

21 juillet 1957

Par le Perthus et Figueras, à Palamos chez Jeff : « El Faro ». Michèle absente, aux courses de Barcelone. Avec Jeff, loué pour 15 jours à Colella, hôtel. Au retour, altercation avec un flic français à la frontière.

22 juillet 1957

Départ pour Colella de Palafrugell, Costa Brava.

23 juillet 1957

Colella : port de pêcheurs mais bondé des touristes français, belges, allemands.

24 juillet 1957

Déjeuner chez Kessel, après bain avec Michèle et lui sur une plage de Palamos. Le frère de Michèle présent et triste (il part pour l’Amérique, ayant échoué en France). Le soir, dans un bal à sardanes bondé de touristes. Revenus tôt. Lu « Tanguy » de M. de Castillo, prêté par Jeff.

27 juillet 1957

À Barcelone. Rentrés fin d’après-midi, fatigués, morts.
Castillo Armas, président du Guatemala pour l’United Fruit assassiné.
Jeff et Michèle venus dîner à l’hôtel, puis tous à Palamos, dans une boîte où se produisent des danseurs gitans, des vrais dit-on. Rentrés dans la nuit.

28 juillet 1957

Corrida avec un Catalan Bernardo et « l’idole de Barcelone » Chamaco. Je vois enfin grâce au dernier une mise à mort « propre ».

29 juillet 1957

Le genou fait des siennes. Revu nouvelles et lu Saint Simon. Verre d’eau des Allemands. Incidents.

1er août 1957

Petits métiers d’Espagne : un piano mécanique sur une voiture à cheval, un bébé dormant parmi les hardes et on vit aussi le rémouleur.

2 août 1957

Genou enflé. Impossible de continuer ainsi.
Fait connaissance de Dick et Elisabeth, couple de gringos en voyage de noces. Lui, barbu, elle, lunettée.

3 août 1957

À Collioure chez Sabathier qui y est depuis 8 jours. Déjeuné avec lui.

4 août 1957

En compagnie des deux Ricains corrida à San Felin avec Martorell. Très mauvais. Un taureau estoqué qui ne voulait pas tomber, le matador lui caressant le mufle.
Passé chez Jeff. Lui ai remis les nouvelles à lire. Ensuite, lui, Michèle et les Ricains et nous dîné à l’hôtel de Colella.

5 août 1957

Avec les gringos, dîné chez Jeff.

6 août 1957

Note de l’hôtel : 6 000 pesetas. Impossible de rester jusqu’au 15, sauf si on trouve de l’argent.

7 août 1957

Etant donné que l’Américain nous avance 20 000, nous restons sur la Costa.

8 août 1957

À Palamos avec les Américains (Richard Levine m’a prêté 20 000 F). Chez Jeff. Il a trouvé les « nouvelles » « effroyablement mal écrites ». Ce que je n’oserai prendre pour un compliment.

9 août 1957

Rotation des Allemands de l’hôtel. Tous les 11 jours dans un ordre bavarois.
Avec les Ricains et Kessel, au phare de Sabathier, dîner. Foutaises, tables tournantes, tours de cartes, etc. Essayé de faire tourner une table au Gelpi ensuite, avec demi réussite.

12 août 1957

Dernier bain. Les Ricains partis pour Barcelone, Madrid, Paris et N.Y.

14 août 1957

Passé à Palamos prendre Jeff à la maison du Phare, Collioure, puis Perpignan où je prends un train vers 13 h. Passé à Sète voir les Marchal dans l’après-midi. Couché Toulon. Hôtels pleins. Billet de logement chez un particulier qui soigne la note :
1 200 F la chambre (bruit et saleté compris).

15 août 1957

Pris la route seul. Déjeuner à midi avec un édenté suédois (viande hachée, pain privé de sa croûte) ancien de la Légion qui parle avec l’accent tudesco-provençal, très, très curieux. Dormi à Mâcon. Reste 6 000 F en poche.

16 août 1957

Paris avec mes deux Hollandais (que je jette à la Concorde). 13 h Clichy, puis journal. Dormi à Ozoir-la-Ferrière où les parents, l’oncle Roby, la tante Hermance et Mme Viard passent leurs vacances.

17 août 1957

Déjeuné chez Gatti. Départ pour la Sibérie en septembre avec Chris Marker (on m’avait proposé, me dit-il, pour ça ; mais j’étais loin).

18 août 1957

À Ozoir avec les Gatti et Annelore (Stéphane en colonie). Boules, ping-pong, TV.

21 août 1957

Retour d’Ozoir. Déjeuner chez Dante avec Chris Marker (parlé Sibérie surtout). Re-Ozoir pour ramener les parents, Mme Viard et Ariane.

22 août 1957

Déjeuner St-Germain avec mes Ricains. Le soir, avec eux, au « Lapin agile », toujours aussi déplaisant (cette atmosphère touristico-religieuse, ce mythe imbécile, cette médiocrité dans le style).

23 août 1957

Dîner Gatti avec Auclair et sa femme (P.L., Bellanger, Helmann, P.M., Farran, ). Il m’a fait porter par Tchang, délégué de Pékin, sur la liste de départs pour la Chine.

24 août 1957

Déjeuner chez Dante avec les Chateauneu (il est rédacteur en chef de Radar). Dante me donne à lire « La Gare de l’Est » (dédié aux sept Weil).

26 août 1957

Conduit les parents à la gare. Dîné le soir avec les Ricains et J.M. Sabathier près de Notre-Dame. Un fou devant nous sur la chaussée : « Le 1er août 1914… O maman ! Viens avec nous Jacob ! Il venait de Tchécoslovaquie et de bien plus loin… Tuer la jeunesse… Je suis parti en 1914 et je ne suis pas encore arrivé à Paris ». Après, il voulut nous offrir un petit sous-verre représentant Lens avant la guerre. Son prénom : Théo…

28 août 1957

Ne faut-il pas plaindre celui qui, à un moment ou à un autre de sa vie, n’a pas été coco ? Conduit Dick et Elisabeth à Orly (avec Sabathier).

29 août 1957

Dîner chez Dante avec Karmi. Puis, théâtre de l’Alliance française. Répétition de « Comment s’en débarrasser » (Ionesco) par J.M. Serreau, décors de Siné, présent.

31 août 1957

Malcolm Lowry mort. Un grand écrivain.

1er septembre 1957

Déjeuner chez les Toussaint avec Ariane, Beï, Annelore, Danielle, Dante et Karmi.

2 septembre 1957

Dîné chez Dante avec Karmi qui critiquait « La Gare de l’Est ».

3 septembre 1957

Travaillé Brésil.

4 septembre 1957

Conduit Dante à Orly avec Danielle. Là-bas, Chris, Perrard (député co), un opérateur (beau-fils de Nathalie Sarraute) et Helman (qui n’osait approcher étant brouillé avec Danielle).
À déjeuner, André David qui me donne les éléments d’un speech à composer pour le président de la communauté hayangaise lors de l’inauguration de la nouvelle « schoule ».
Dante me laisse son manuscrit « La Gare de l’Est » corrigé cette nuit et à faire taper.

5 septembre 1957

Allé chez Armel Guerne, traducteur des Churchill (Histoire des peuples de langue anglaise) en vue de procéder au découpage : drôle de pistolet. Collabo ? Résistant ? Mystique ? Nationaliste ?
Téléphoné à Postel. Mauvaise nouvelle. Le cobaye va mal. L’analyse révèle des B.K. Il va falloir antibiotiques et un mois de lit.

9 septembre 1957

Travaillé Brésil. Téléphoné Guérin : encore plus net que Postel. Au lit ! et le grand traitement tout de suite.
Avec Beï à l’alliance française (théâtre d’Aujourd’hui), générale de « Comment s’en débarrasser » (Ionesco). Serreau remarquable. Salle clairsemée. Bravos nourris. Vu Robbe-Grillet, Hombostel. Pris R.V. avec Serreau pour la pièce de Dante.

12 septembre 1957

Hombostel, qui n’a pas reçu d’augmentation, envoie une lettre de démission à Gaston (qui la refuse, mais sans augmentation : le « patron » veut 3 millions d’économies…).
Chez Guérin confirme tuberculose : 6 mois de repos minimum (plâtre et antibiotiques). Naguère, il fallait 5 ans à Berck-Plage. Maigre consolation.

14 septembre 1957

Avec Gil et Jacqueline, nous partons à Hayange pour l’inauguration de la nouvelle synagogue.

15 septembre 1957

Déjeuner familial. Inauguration. Mon discours massacré par le président de la communauté. Mais cérémonie impressionnante et touchante (les psaumes chantés, la prière aux morts avec énumération des camps de déportation). Vin d’honneur à l’Hôtel de Ville, lunch chez les Michel, père et fils, puis grand dîner chez les Marx-David (25 personnes avec maître d’hôtel). Bal chez Scheller.

16 septembre 1957

Fait le premier chapeau du Churchill.

17 septembre 1957

Hayange. Braderie 800 000.

18 septembre 1957

Metz : avec Serge chez lui, puis Kalisky, puis au Républicain lorrain. Vu Bentz, toujours mélancolique ; il relève d’une dépression nerveuse (avec idée de suicide). « Ça ne nous rajeunit pas », dit-il.

19 septembre 1957

Retour à Clichy. Une carte de Moscou (Dante).

20 septembre 1957

Lariboisière pour la gouttière de plâtre.
Lettre de Calder (à Roxbury) pour savoir si je me suis fait soigner par un guérisseur. Je lui en avais parlé. Lettre de Cayrol – me demandant de lui écrire, ou de lui porter quelque manuscrit.

24 septembre 1957

Coup de fil Mennegoz qui viendra jeudi (il est furieux, France-Soir publie un reportage sur un film de Clouzot, dont il était l’assistant – mais tout tourne autour du « génie » qui engueule, insulte et écrase le reste).

25 septembre 1957

Airane commence à marcher. C’est l’affaire de quelques jours.

26 septembre 1957

Lu hier soir le dernier Sagan apporté par Menant, un peu moins nul que les deux autres, mais quelle insignifiance, au total, quelle pauvreté, quel pensum !
Visite de Mennegoz. 1) le texte du commentaire du film Chine (par S. de Beauvoir) pourrait être changé. Voudrais-je l’écrire ? 2) petit film sur l’alcoolisme, veux-je faire le synopsis 100 000. 3) le grand film qu’il va tourner. Il ne sait pas quoi. Lui prête René Leys, Benito Cereno, suggère lecture ‘Au-dessus du volcan’, Lovecraft.

30 septembre 1957

Terminé Retz. Il y a là-dedans tout un art de la conduite, tiré d’une expérience malheureuse. Un art faux. Ou plutôt, il n’y a pas d’art. Tout dépend des circonstances. Il n’y a presque aucune règle qu’il recommande qu’on ne puisse changer du tout au tout dans une autre rencontre.

1er octobre 1957

Lettre de Flamand, à propos de ma maladie, m’offrant l’aide pécuniaire du Seuil. Le gouvernement Bourgès-Maunoury chute sur la loi cadre pour l’Algérie – bien bénigne pourtant.

4 octobre 1957

Projet de Gilbert d’acheter un magasin. On lui en propose un rue Saint-Denis.

5 octobre 1957

Grand jour pour l’espèce : les Russes ont lancé le premier satellite artificiel, une sphère de 58 cm de diamètre, de 😯 kg, portée par fusées jusqu’à 400 km et émettant sur . Je crois l’avoir captée. Mortification certaine des Américains qui avaient parlé d’envoyer le leur avant tout le monde.
Lettre de Dante des Yakoutes.

7 octobre 1957

Lettre de Calder – Il m’enverra un mobile.

8 octobre 1957

Fait chapeau Napoléon. Le satellite – le Spoutnik ou bébé lune ou Bip Bip – tourne toujours. Les Américains au bord de la dépression nerveuse. Vu à la TV une Miss France, nommée Navarro que j’ai connue quelque part.

9 octobre 1957

Dante rentré cette nuit de Moscou. N’a pu aller Verkoriansk, en raison d’envois d’armes, fusées, etc. Venu dans l’après-midi avec un disque pour Ariane (Pierre et le loup) un petit jeu d’échecs. Content de son voyage. Mais ici, Serreau a d’autres projets que sa pièce (il va monter « Le Balcon » de Genêt à N.Y.). Pour Libération, va voir ce qu’il en est.

10 octobre 1957

Coup de fil de Danielle : Dante engagé à Libé comme grand reporter, mais à 80 000 (Derogy et Bedel ont démissionné parce que le plan de renouvellement du journal n’a pas été appliqué). Acheté titres – bourse en dépression.

11 octobre 1957

Coup de fil de Mme Th. De St-Phalle ! Veut me voir pour un livre à faire pour Fayard.
Toujours Spoutnik, la lune, le désarmement et la crise – dont à vrai dire tout le monde se fout.
Dante engagé – mais a pris contact avec Lescure (de chez del Duca) qui veut reprendre Franc-Tireur).

12 octobre 1957

Visite Patrick qui m’apporte son livre, puis Sabathier au sujet du chapitre des « ennemis publics » passé dans France-Observateur. Gros bruit au journal. Patrick croit qu’on a tenté de faire pression sur Julliard pour empêcher la parution. Coup de fil de Dante qui a R.V. avec les Del Duca mardi.

15 octobre 1957

Ariane 15 mois – mais quel démon ! Coup de fil de Marchal, Patrick, Dante, Menant.

16 octobre 1957

Grève gaz et électricité. Lettre de Jean Davidson, gendre de Calder qui m’annonce l’envoi d’un mobile. Coup de fil de Jeff grippé, qui me viendra voir un de ces jours.
Visite de Sabathier-Lévêque qui rêve de partir pour l’Amérique sous Napoléon-Cartier. La France l’écœure de plus en plus. Parlé de Collioure, de Mme Lhospital (vaste vagin), de Gérard, le juif et de son énorme matrone qui le garde à sa merci parce qu’elle a les bijoux de sa mère déportée.

17 octobre 1957

Vu Menant – un peu las de PM (stérilisation, danger pour l’écriture, impossibilité d’aborder les sujets « grandioses », de les traiter selon son cœur, autocensure). Je lui suggère de proposer à PM un reportage à Moscou sur le « voyage dans la lune ».

18 octobre 1957

Ariane marche depuis ce matin. Coup de fil à Hayange. La mère très fatiguée par la grippe, le père aussi. Couleur du temps : que la grippe et le Spoutnik.

19 octobre 1957

Fil de Dante, projets divers.
Coup de fil de Hayange. Quelque chose ne va pas (maman qui parle de divorce – en plein magasin devant les vendeuses).
Reçu le mobile de Calder aussitôt fixé. Terminé 1er chapitre Brésil.

20 octobre 1957

Gilbert et Jacqueline partis pour Hyange. Dante à Clichy pour rédiger ensemble un invraisemblable synopsis de 10 feuillets (avec comme obligations : Annie Cordy, Marino Marini, un danseur espagnol, un duo en avion Air France, une sérénade, etc.). Avec lui, revu « Rome, ville ouverte » à la T.V. puis terminé synopsis à 23 h.
Chris Marker a suggéré à Dante d’éditer son roman avec des illustrations photo (puisqu’on le prétend abstrait). Idée neuve car le roman traditionnel n’y résisterait pas. On n’illustre pas la psychologie.

21 octobre 1957

Synopsis présenté par Dante au producteur qui l’accueille, à ce qu’il me dit, sans grand enthousiasme (peut-être pour payer moins cher).

22 octobre 1957

Visite Helsey (les « Ennemis publics » dans la poche). Croizard, Sabathier, tante Simone et le père Marchal.
Grèves, crise politique, bourse en baisse, etc.

23 octobre 1957

Gilbert ramène le père pour quelques jours … chez nous.

24 octobre 1957

Visite de grand-père qui a des ennuis.
Visite de Jean Davidson et de sa femme (la fille de Calder). Conversation sur les mobiles (inspirés à la fois de Mondrian et du système planétaire), le Spoutnik, etc.

25 octobre 1957

Grève des transports, etc., incidents à Saint-Nazaire. Climat social très lourd.

28 octobre 1957

Coup de fil de Dante : il a été matraqué, assommé par les CRS à St-Nazaire (où il se trouvait pour l’Express). Hôpital, etc. Les canailles ravis de « se taper une tranche de CRS ». Sorti d’affaire aujourd’hui, m’a-t-il dit, « avec des pansements ».
Coup de fil de Izis, puis Menant à qui Gaston n’a pas dit non pour le voyage à Moscou. Visite de Th. De Saint-Phalle, venue me demander un livre pour la collection qu’elle lance « Voici la France ». Conversation : Proust, Match, Spoutnik, Le Corbusier. Eludé l’offre mais l’ai conseillée pour la collection.
Mort de Borges à Buenos Aires.

29 octobre 1957

Joukov destitué ?

31 octobre 1957

L’Express avec la tête tuméfiée de Dante.
Tante Raymonde frappée d’une attaque dans un magasin. Hospitalisée.

1er novembre 1957

Dante renonce au film (il est revenu dégoûté d’une entrevue avec le producteur). Il a touché 80 000 de Libé (avec une prime, tout compris), mais l’Express paraît décidé à le prendre : « Je le devais aux CRS ». Visite Mauricette et son mari puis Menant. Coup de fil de Galante (qui a perdu sa mère et est devenu chevalier de la Légion d’honneur qu’il guettait depuis des années mais que son deuil lui rend à présent insipide).

2 novembre 1957

Lettre de Cayrol m’encourageant au roman.

3 novembre 1957

Les Russes ont envoyé un deuxième satellite, avec un chien, pour le 40e anniversaire de la Révolution. ½ tonne à 1 500 km ! Etonnement devant les chiffres.

4 novembre 1957

Fini 3e chapitre Brésil. Dernier refuge de l’anti-communisme : la pitié pour le chien du Spoutnik (pitié par ailleurs respectable, mais…).

5 novembre 1957

Jeff m’envoie son dernier volume : Hong Kong et Macao. Coup de fil de Paule Thévenin : animée d’une rage sacrée contre le Spoutnik – qui annonce la fin de la pensée (au profit du calcul pur) et la fin du monde (comme périrent les Atlantes) et aussi la fin de l’imagination (on ne peut plus promettre la lune, dit-elle). Coup de fil Obolensky, Bernard, Pernoud.

6 novembre 1957

Visite de Obolensky. Parlé Russie, ignoble Cartier, etc.

10 novembre 1957

Maman à Clichy.

11 novembre 1957

Coup de fil de Boulez de retour d’un de ses nombreux voyages. Très content du succès des séances à Pleyel. Strawinsky l’a pris directement sous son aile. Il a déjeuné avec Cocteau : « Un con », lequel cherchait toujours à dire tout par formule et ratait tout.

12 novembre 1957

Collin téléphone : il est malade (hernie) et Roux ne veut pas l’inscrire aux A.S. Sentiment de couler.

13 novembre 1957

Coup de fil Henriette Chandet : – Dante : l’Express demande 8 jours pour décider de son entrée définitive (il a demandé 130) ; en attendant, l’envoie à Saint-Nazaire, Nantes pour enquêter sur le nommé Morice, ministre. Menant : 1) Collin – 2) Pernoud inquiet : la « lecture » est supprimée au profit d’une saisie de textes courts, idée de Maquet. 3) Castens voudrait que j’écrive son « programme » (sa pièce bientôt représentée).

15 novembre 1957

Coup de fil de Bernard D. : l’association GRF se portera partie civile au procès Gatti contre CRS.

16 novembre 1957

Visite de Saby : ses problèmes prêts d’être résolus. Des Américains s’intéressent à lui : Rubin Yolas – et Aghion, ami d’Helmann, qui désire fonder une galerie. Parlé de Boulez (impossible ! Il ferme toutes les conversations sauf la musique, dont je me fous pur l’instant), de Mme Thézenas, brave personne (son salon musical remonte à la soirée Cage – C’est Souvt et un Rouvier qui l’ont amenée à aider Petrus), une réflexion du vieux Beaumont : « Dire que j’étais Saint Loup ».

18 novembre 1957

Menant téléphone : on l’envoie à Alger pour raconter un massacre de « pétroliers du Sahara » par des fellaghas. Il est ennuyé. Lui ai conseillé d’éviter tout « contexte » politique. Jeanne Picard, qui travaillait au studio avec J. Merlin, a pris le voile. Elle était à Match pour gagner sa dot du couvent. Ses années au journal l’ont ancrée dans sa résolution… Le journal le plus pourri de Paris amenant au carmel : les voies de la Providence.

19 novembre 1957

Terminé Proust 14 h. Grève des fonctionnaires. Coup de fil de St Phalle qui a repensé, dit-elle, à notre entretien, à Proust (et c’est une étrange coïncidence). Visite de Obolensky : atmosphère lourde au journal à cause des changements envisagés, des mises à la porte possibles. Cela, ceux d’hier l’avaient déjà dit.

20 novembre 1957

Coup de fil de Roels (Fargue désintoxiqué, Desjardins se prenant pour un grand homme).

22 novembre 1957

Une bonne, la première, entre en service. Jeune Normande nommée Thérèse.

23 novembre 1957

Visite de Croizard, Sabathier (qui me fait mon portrait au crayon de couleur) et Kalily de passage.

24 novembre 1957

Fait papier sur Elisabeth II et Philip (dix ans de mariage).

25 novembre 1957

Mort de Diego Rivera à Mexico.
Coup de fil de Bernard préoccupé de l’avenir de Dante et qui m’invite à l’aider afin de pousser l’animal dans le monde (ça a bien aidé Michaux… !)

26 novembre 1957

Coup de fil de Dante, retour de Saint-Nazaire où la dégoûtante figure du Morice lui est apparue sous son ignoble jour. Visite Farran, Croizard, Viviès, Sabathier.

28 novembre 1957

Lettre de Kateb, de Milan, gentille et mélancolique. N’est pas Milanese qui veut…
Menant à la maison, qui commence à comprendre ce qu’est PM et qu’il faut prendre ses distances. Borges pas mort d’après l’Express. Fausse nouvelle ou mystification.

29 novembre 1957

Renizov mort, me dit Dante.

30 novembre 1957

Viviès à la maison :
1 – Le Tellier divorce ; sa femme Mariane L., speakerine de T.V., se jette dans les bras d’un technicien plein d’argent qui lui offre une Triumph.
2 – Courrière idem – sa femme, ancienne entraîneuse, en a assez parce que c’est lui qui « court » maintenant.
3 – Litran avait proposé à la secrétaire de Dubois, Jacqueline, de l’épouser. Mais il n’est rien. Elle espère que Farran qui la « fréquente » divorcera pour elle.
4 – Coup de fil à P.M. d’un directeur de chez Peugeot : sa secrétaire en larmes se plaint d’avoir été mise enceinte par un photographe de Match avec qui elle avait passé une nuit dans le train. Mais elle ne connaît pas son nom…
5 – Mariage clandestin, dit-on, de Théron avec son mannequin, Victoire.
Et aussi que Sabathier se coule parce qu’on répand partout qu’il boit.

2 décembre 1957

35 ans aujourd’hui.
Prix Goncourt : Vaillant. Renaudot : Butor. Médecin venu : il faut compter encore trois mois et demi de lit, puis lente réadaptation.
Impatience tenaillante, angoissante d’écrire quelque chose.

4 décembre 1957

Coup de fil de Th. de St Phalle, à propos de sa collection. Quelque chose m’a fait rêver, d’inalysable pourtant.

5 décembre 1957

La fusée qui devait lancer le satellite U.S. explose au sol. « Le poufnik », « Samnik is kaputnik » titres de la presse.

8 décembre 1957

Vu Saby qui m’apporte NRF avec un article du Petrus – et « La Modification » de Butor.

9 décembre 1957

Coup de fil de Dante : 1 – Flamant veut publier sa Sibérie – qu’il a promise à Fayard (mais Flamant offre le dédit et 2 mois payés à revoir le manuscrit). 2 – Il lui donne à choisir, pour publication immédiate, entre le roman et la pièce. Je lui conseille de faire passer la pièce. Lui pense : roman parce que l’unanimité n’est pas faite sur lui tandis qu’elle l’est sur la pièce, etc.

10 décembre 1957

Sabathier – toujours angoissé, malheureux, solitaire : « Comme je n’avais personne sous la main, dit-il, j’ai emmené ma logeuse à Pleyel écouter « Le Messie».

11 décembre 1957

Visite de Dante – venu prendre sa pièce pour parution dans les Temps modernes. Visite de Castans, venu demander une introduction pour le programme de sa 2e pièce (aux Nouveautés). « Auguste », que ça s’appelle.
Papier à faire sur Dinu Lipatti.

12 décembre 1957

Visite pour travail sur Lipatti de Michelle Mangot, escortée d’un parfum presque visible à force de densité.

14 décembre 1957

Visite de Toussaint et Menant, l’un commandant à l’autre un livre (sur le Sahara). Eisenhower à Paris pour la conférence de l’OTAN (à cause des Spoutniks, etc)..

16 décembre 1957

Sabathier me raconte sa vie : enfant naturel promis à l’AP, puis adopté par la doctoresse qui avait accouché sa mère. A 4 ans ½, un inspecteur de l’AP en visite dit devant lui : « Comment vous appelle-t-il ? Maman ou Melle ? » Puis, le prenant : « Sois bien sage, sinon, on te mettra à l’AP ». Choc qui, d’après lui, a conditionné toute sa vie.

17 décembre 1957

Trois mois de lit, déjà. Encore trois…

23 décembre 1957

Coup de fil de Pacaus, me demandant quelle influence a Papeloux sur PM (il songe à y entrer par lui, ne pouvant plus supporter Détective).

24 décembre 1957

Visite de Sabathier et Diwo avec une bottle de scotch.

25 décembre 1957

Passé le réveillon au lit, à lire Saint-Simon : la rupture du duc d’Orléans avec Mme d’Argenton. Olivier Merlin venu.

26 décembre 1957

Fait papier sur Alexandre de Kent. Un magistrat de Rabat suicidé : Gary. Me suis demandé un moment si ce n’était pas celui à qui j’ai envoyé une lette d’engueulade. Mais les noms ne semblent pas concorder.

27 décembre 1957

Lettre d’une ancienne journaliste du Daily Mirror, connue au P.L. maintenant à Chicago et qui me réclame une mystérieuse statue porte-malheur, qu’elle m’aurait confiée de la part de son possesseur affolé et désireux de s’en débarrasser. Peu de souvenirs de cela. Visite de Davidson et d’un de ses amis professeur de philosophie à l’école alsacienne. Parlé de Sandy, d’Heidegger nazi. Lui ai suggéré un livre sur la faim aix Indes. Coup de fil de Sabathier, très déprimé par l’hostilité d’Hanoteau et l’impossibilité apparente d’aller en Amérique – ce qui, croit-il, le sauvera.

31 décembre 1957

Belle-mère et Éric partis ce matin. Beau-père avant-hier. Écrit à Melle Lavaud, grande résistante et amie de Jeff, pour la félicitéer de sa croix. Visite du sténo, Martin, qui m’apporte le Brésil tapé – et un cadeau : « Panorama des idées contemporaines » relié. Réveillon : une tasse de café et deux tartines de beurre.