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1959

Pierre Joffroy était son nom de plume. Maurice Weil celui de l’etat civil.
Né en 1922 À Hayange  en Moselle, il monte à Paris en 1945 après être passé par Lyon où il s’était réfugié en 1941, rejoint plus tard par son frère Gilbert .
Entré au Parisien Libéré dès son arrivée dans la capitale il réalise un de ses premiers reportages en s’embarquant sur un « rafiot « chargé de juifs européens  rescapés des massacres nazis.

Ici commence l’histoire des carnets dont certains disparaissent à l’occasion de ce voyage en terre de Palestine en 1947.
Il s’agit d’un petit agenda (un par trimestre) sur lequel il note rendez-vous, rencontres, conversations téléphoniques, lectures, sorties, projets et ceux de ses amis.
Le format n’autorise pas le développement comme encore moins les épanchements (même si on trouve quelques cris du cœur).
Ces carnets pourraient être (sont) comme une gigantesque table des matières d’un livre à venir, un vaste index qui renvoie à autant de pages qui ne sont pas encore écrites.
Au commencement était le verbe. Reste à trouver la suite.
À vous de lire ce projet de « livre total » .
À vous de nous donner des informations complémentaires que la lecture de Ces 20 premières années (1947-1968) vous inspire.
La suite, 1968-1980, puis 1980-2000, paraîtra dans le courant de l’année 2021.
Les carnets n’avaient jamais été lus, ni déchiffrés avant 2008. Ils ont été photocopiés puis déposés à l’IM.C.(Institut Mémoires de l’ Edition Contemporaine) avec les archives de Pierre Joffroy où ils peuvent être consultés.

1er janvier 1959

Avec M.C. (on lui a extrait hier une dent de sagesse). Le réveillon s’est achevé à 23 h devant la télé.

2 janvier 1959

Avec Menant au journal, travaillé à un papier (signé M.H. Viviès) sur la révolution cubaine, Fidel Castro et Batista.
Vers 22 h 45 la nouvelle circule : les Russes ont lancé une fusée vers la lune. Elle l’atteindra dimanche matin.

3 janvier 1959

La fusée s’est arrachée à l’attraction terrestre, mais ne touchera pas la lune. La fusée a été lancée le 2 à 17 h 45 (heure de Paris). Fini « Parabole » de Faulkner. Très beau, par endroits.

4 janvier 1959

Conduit la belle-mère et Éric à la gare (M.C. mal aux dents). Au retour, été voir les Marchal : Henri catarrheux, fatigué et pas content qu’on lui ait supprimé sa retraite de combattant. La fusée est passée à 7 500 Km de la lune et continue.

5 janvier 1959

Jean Lannelongue, que j’avais connu il y a quelques années journaliste à F.T. et ailleurs, (un grand et beau garçon, barbu) est tué à Toulouse par deux inconnus dans sa cave « existentialiste ». Lettre de Calder : vœux, il a reçu « le Brésil ».

6 janvier 1959

Un livre de TSP (Thérèse de Saint Phalle) L’Ame française. Rue François 1er, le matin, enregistré une interview avec M.P. Fouchet sur le Brésil.

7 janvier 1959

Téléphoné T.S.P. pour remercier du livre. Au Seuil, pour la revue : JB, FRB, MJN. Nouveau projet : 72 pages, 200 F.

8 janvier 1959

De Gaulle président aujourd’hui. Coty s’en va. Des drapeaux sur les Champs-Élysées ; un vent froid. Peu d’enthousiasme. JBD m’écrit, d’Alger, il renonce au secrétariat de l’Association des grands reporters (qu’il avait tant brigué) et veut que je lui succède.

9 janvier 1959

T.SP. La valse de Brahms en pendulette-réveille-matin et en style Louis XVI – juste ce qu’il faut, à ce que dit l’intéressé ! Bavardé de Dante, Fayard, etc. Il tomba une petite neige qui fondait vite, place de l’Alma devant chez Francis.
Avec Gilbert et Jacqueline et Me Weil, chez le notaire de Lewinson pour les actes. Ce que je vois de plus clair, c’est que j’aurai encore 350 000 à donner ! Je ne vois pas la fin de l’hémorragie…

10 janvier 1959

Coup de fil de Paule Thévenin. Danielle pourra accoucher dans une clinique, mais comme ils n’ont pas le premier sou, Paule me propose de nous mettre à deux pour payer les frais (10 chacun).
Corvol me téléphone ce matin pour me parler du « Brésil » et me dit – mais je l’avais lu sans précision – que Le Troquer a été inculpé de viol, incitation de mineurs à la débauche, etc. Un règlement de compte entre les « gangs » (Soustelle contre Le Troquer).

12 janvier 1959

Papier de Vialatte sur le Brésil dans « La Montagne ».

13 janvier 1959

Avec B., au musée pédagogique (cinémathèque) pour voir « Naissance d’une nation » de Griffith. Film retardé : il vient par avion. Très bon (le KKK, la bataille) et parfois ridicule : c’est l’époque, dans ce cas (1914).
Téléphoné à Mille, chez Chanel : je dois faire un papier sur elle.

14 janvier 1959

TSP téléphone : ça marche. Je serai « conseiller technique » de la collection, et les 50 sacs pour Gatti. Déjeuner, rue de Varenne, avec Menant, Gicquel et un chargé de presse de l’énergie atomique : Jégu – très doux et très fin.
19 h : rue Cambon, chez Chanel. Hervé Mille m’en avait parlé en termes enthousiastes (rares chez lui). Rencontré Bresson dans l’antichambre – Dîné avec la grande Mademoiselle et son mannequin M.H. Armand. Le bureau et ses paravents chinois noirs, ses bronzes, ses fauteuils Louis XVI, ses biches près de la cheminée où flambait un bon feu, ses éditions dorées sur tranche (tout Reverdy en manuscrit, et un volume du même, illustré directement par Picasso). Sorti à 23 h. Il neigeait abondamment. Conduit Chanel au Ritz de l’autre côté, puis MHA à son hôtel.

15 janvier 1959

Papier de Bourdier dans Les Lettres sur le « Brésil », très élogieux.
Gatti a vu M.P. Fouchet et a enregistré sur la Sibérie. Le Poisson noir passera peut-être à la T.V. Neige encore.
La grâce des 200 condamnés à mort algériens, la libération de 7 000 internés, la liberté de Messali et l’amélioration du sort de Ben Bella : on sent que la solution approche – peut-être.

16 janvier 1959

« Lettre de Sibérie » : Prix Lumière.
Vu Georges Kessel qui écrit un scénario sur Chanel et doit m’aider. Mais, au Frontenac, il m’explique qu’elle refuse (après, il me propose de collaborer avec lui à des scénarii). Il ne croit pas que M.H. Armand soit la bonne amie de Coco, parce qu’on dit de lui-même qu’il est l’amant de la Grande Mademoiselle. Alors, jugez…

17 janvier 1959

Enterrement du fils des charcutiers de la Villa (22 ans, tué en Algérie). Draperies blanches, drapeau, section de paras, service d’ordre, etc. Mille me téléphone : on déjeunera demain avec Chanel, en espérant que ça ira.

18 janvier 1959

Déjeuner chez Coco Chanel avec Mille. Avant, vu la « Grande Mademoiselle » travailler sur ses mannequins, engueulant les « premières » pétrifiées. Au déjeuner, parlé surtout du scandale Lacaze (ce monsieur, et sa sœur, une Juliette Walter, avaient essayé de faire assassiner par des tueurs payés 13 millions le fils de ladite pour en hériter. A) Ce fils serait simplement un enfant « acheté » clandestinement. B) Lacaze et sa sœur auraient déjà « expédié » l’Américaine Margaret Biddle, (morte après un dîner avec lui) et l’architecte Walter, tué sur la route l’an dernier… etc.
Le soir, dîner avec Coco, Gérard Mille, M.H. Armand et une lady d’origine russe qui a vécu au Mexique. Là encore, on n’a parlé que de Lacaze et de ses morts. Raccompagné la lady à son hôtel.

19 janvier 1959

Au journal, on ne parle que de ça. Aujourd’hui, J.-P. Guillaume, qui devait être exécuté, est photographe à Match !
Vu Mille pour les questions à poser à Chanel. Je téléphone : je la verrai demain.
Par téléphone, un voyou essaie de faire chanter « l’employée » Thérèse : il lui réclame 20 000 qu’elle doit lui apporter – sous peine de… on ne sait pas trop quoi. Et visite de l’abbé, responsable de la JOC de Clichy, à 22 h avec le responsable local pour essayer d’arranger les choses.

20 janvier 1959

Dîner Chanel – avec la petite M.H. Armand qui n’a pas dit un mot.

21 janvier 1959

Lettre de J.J. – a lu le Brésil. Me conseille de me mettre à un roman. J’irai peut-être le voir.
La Salle (« Pitou ») me parle de Coco, de MH Armand, devenue une poupée, une momie creuse, vide, sans idées, sous la pression de la Demoiselle.
Seuil : Bardet, Bastide, peu de progrès. Le financier n’a pas encore parlé. Fayard : TSP me donne à revoir le Blanc pain, et à arranger un de Gaulle (par un Américain). Avec B., dîner chez Michel (enfin) et vu « Le Cri » film italien d’Antonioni.

22 janvier 1959

TSP au journal, ai remis la liste des photos à trouver pour le prochain livre de la collection. Dîner (en pull rouge) chez Chanel avec MH Armand. Tous détendus. La collection est presque finie. Elles ont rédigé des réponses à nos questions.
Le scandale Lacaze se développe prodigieusement dans la presse.

23 janvier 1959

Vu Jeff à 12 h 30. De la part de Match, lui ai demandé de faire un article sur les lions. D’acc.

24 janvier 1959

Déjeuner chez Jeff et Michèle. Lui ai remis photos lions – et scénario l’Enclos pour Dassin. À 16 h, vu bd Bonne-Nouvelle (chez son frère concierge) Maufrais qui m’avait téléphoné le matin. Il repartira en mai, me dit-il. Dans un café « Au Petit duc » avec lui. Musique espagnole. Arabes. Dîner chez Chanel avec MH Armand et le père de celui-ci, ancien directeur de la TV, venant du Liban.

26 janvier 1959

Rue Cambon, resté une heure à regarder Chanel travailler à ses robes.

28 janvier 1959

Avec Obo, vu Escuret qui travaille maintenant à la radio. On parle, dans les journaux, de Farran comme directeur de la RTF. Bradley parti sans laisser d’adresse. C’était prévu – j’aurai toujours récupéré 30 000.

29 janvier 1959

Avec Croizard, dans une boutique de disques, choisi un électrophone (53 000) que j’achèterai demain. Chabrun me met en contact avec de Rudder de la radio, qui fera quelque chose sur le « Brésil ».

30 janvier 1959

Acheté et emporté l’électrophone. Avec B., Jacqueline, Gilbert, dîner chez Michel, puis aux Champs-Élysées, un film « La Chaîne » (américain). Bon.

31 janvier 1959

Gatti et Gilbert à déjeuner. Après, on transporte rue Custine la cuisinière et de nombreux objets. Donné à Gatti le de Gaulle à revoir. Il a trouvé l’appartement très bien, surtout la terrasse.

2 février 1959

Chez Chanel avec B. Mille y était. Des fleurs partout. Puis, défilé pendant plus d’une heure. B. Bardot, son ex-mari et son actuelle femme, Jeanne Moreau et des clients, Mme Danet, etc. Après, dans le bureau avec Beï, parlé avec Chanel. En bas, des photographes opéraient.

4 février 1959

Avec Beï, les Gilbert et les Menant, salle de la MGM rue Condorcet pour le dernier film d’O. de Havilland « le Fier rebelle ». Elle joue fort bien, mais le gosse et le chine encore mieux.

5 février 1959

Papier pour Marie-Claire – une connerie.

6 février 1959

10 h : Dante téléphone. Il a une fille, née assez difficilement – elle pèse 4 kg.
19 h, chez un Américain, réception en l’honneur de Calder.

7 février 1959

Achevé le Max Ernst, de P. Waldberg (JJ.P.uvert). Rue Custine : quelques livres apportés, ceux du rayon du haut.

8 février 1959

Lu « Curieuse solitude » de P. Sollers et « Le Défi », du même.

9 février 1959

Costume bleu rayé – pris chez Bosch.
Visite Danielle (et Fabienne-Clarisse) à la clinique du Barrage à Alfortville. Fort sinistre promenade en taxi par des routes défoncées, de la pluie, des voies ferrées, du brouillard et des pauvres gens.

10 février 1959

Maman chez Thibault : il craint que sa fatigue vienne d’une hémorragie méningée.

11 février 1959

Vu TSP pour les photos du livre Blancpain. Part pour Courchevel. La mettrai en contact avec Béghin. Bien, très bien.

12 février 1959

Auriol démissionne de la SFIO – à cause de « l’opportunisme desséchant »  de Guy Mollet. PMF exclu du parti radical parce qu’il ne voulait pas quitter l’UFD.

13 février 1959

Dans les Lettres nouvelles (dernier n° mensuel) lu une nouvelle d’un Suédois, Stig Dagerman : Dieu rend visite à Newton. Très impressionnante.

14 février 1959

Déjeuner avec Dante et Chris chez Juliette Caputo. Revue à laquelle le Chris va s’agréger. Avant, dans l’escalier de Match, Gatti a rencontré H. Mille qui lui a demandé s’il ne travaillait pas dans la maison, et lui a recommandé de s’adresser à Gaston (c’est bien sa façon d’agir). Je vais m’occuper de cela.

17 février 1959

Lettre de Davidson. Parle de Turenne comme d’un éventuel participant à l’affaire Revue. Papiers en perspective : 1) Anne Frank – 2) Les savants yougoslaves atomisés.

18 février 1959

Vu Gaston pour Gatti. En bonne voie. Lu « Rencontres avec Pierre Boulez » de Goléa.
Gatti au journal : voit le Bodo, puis Devay. Il est engagé – 200. Grande joie. Clameur de joie. Danielle heureuse : elle commençait à être très inquiète.
Coup de fil à Georges Neveu, adaptateur d’Anne Frank, à propos d’un papier à faire dans P.M. Il est embêté et le dit franchement. « Si P.M. parle d’un film sur A.F., personne n’ira plus voir la pièce. » Il va téléphoner à Gaston.

20 février 1959

Fait le papier « leucémie ». À P.M. beaucoup de bruits : Hanoteau me prend à part « pour lutter contre les voyous ». On entend dire que J.P. est furieux de la baisse du tirage. On embaucherait en outre Jean Cau, de l’Express.
Paule téléphone. Je lui envoie 15 000 pour Bernard. (Elle m’avait téléphoné hier : le Saby déraille, est intoxiqué, il faut le « rapatrier ».)

21 février 1959

Envoyé déclaration d’impôts. Signé chez le notaire pour la rue Custine avec Gilbert.

22 février 1959

Train 7 h 36 pour Amsterdam avec Beï et le photographe Picherie. Victoria Hôtel. Promenade. Vu Lanmertse, ami de G. Neveu, metteur en scène. Dîner à la Pergola, restaurant italien. Vu les filles derrière les vitrines. C’est à rêver.

23 février 1959

À Delft par le train. Beau temps. Vu l’archiviste, charmant, disert et hanté par Louis XVII-Neuendorff, dont il nous montre la tombe. Photo de la rue de Delft, du canal de Rotterdam – le Markt, la nouvelle église et la vieille où il est enterré anonymement (Vermeer). Déjeuner au Prinsenhof, où fut assassiné le Taciturne. Dîner à l’hôtel : dans les rues, la nuit sous le brouillard, passant devant la vieille, entendu une musique d’orgue. Pendant un instant, cru qu’il s’agissait d’un fantôme, peut-être Vermeer, assis devant le clavier…Mais c’était un culte, dans une chapelle latérale.
Déménagé hôtel Américain, place de Leyde. Maison d’Anne Frank, 263 Prinzengacht (un chantier, dont on fera un musée). Déjeuner avec Melle Hühne, journaliste et correspondante de P.M. Puis école Montessori : photos. Photos à la nuit de la maison. Dîner Port van Cleve. Passé dans le canal des filles.

25 février 1959

Delft. Tramway pour La Haye. Promenade, etc. À 16 h 10 train pour Bruxelles. Dîner à la Madeleine. Dans Bruxelles : 1) un homme à qui je demande mon chemin s’écarte de moi ; je récidive, il fuit, terrifié. 2) On nous jette des sous qui tombent en tintant. Qui ? 3) Je casse ma pipe en m’asseyant dessus.

26 février 1959

Mauvaise nuit. Promenade dans la ville. Dîner 94, av. Louise chez l’oncle Daniel, la tante et leur fille Andrée (opinion changée sur le grand-père Théophile : un brave homme). Musée royal pour les Breughel et les Bosch. Rentré train de 6 h 57.

28 février 1959

La femme de Pottecher morte.

2 mars 1959

Temps merveilleux. Premier jour de travail de Dante (au 5e). Sa pièce va être représentée à Sarrebruck, puis à Caen. J’irai.
Montsouris. Cocktail Fayard en l’honneur des libraires. 800 personnes. La cohue. Vu Diwo, Rognoni, Collin, les Toussaint, Max-Pol Fouchet, etc. Bellanger là. Je le gifle. Grosse sensation. (Je ne me laverai pas la main droite pendant trois jours). Rentré avec Collin et Mme Toussaint vers les 11 h.

3 mars 1959

Beaucoup de gens au courant. Obo ravi et Dante. Raconté à Mille et Bonheur qui s’en amusent (ceci me couvre vis-à-vis du bonhomme). Vu Bardet pour la revue – et J.L. de Villalonga dans son bureau.

4 mars 1959

La presse n’en a pas parlé. Supposons que les directeurs de journaux ne veulent pas donner de mauvaises idées à leurs collaborateurs. Téléphoné TSP qui part pour Courchevel. O. Merlin hier soir au bout du fil. On avait parlé d’un changement : J.P. l’ayant chargé des informations (avec Lacaze) et lui m’ayant réclamé. Alors J. Prouvost : « Joffroy… il est très bien. Il ne me fait pas beaucoup de frais mais je l’aime bien… talent, etc., etc. » Ce « peu de frais » a fait rire Gaston. En fait, mon rôle serait d’aider Gaston, comme chef des « papiers », quelque chose comme ça !
Avec Dante, bu un verre à l’American avec Saby, assez maigre, las, distrait.

5 mars 1959

C’est fait. Convoqué chez J.P. (dans le bureau de Mille). O. Merlin, Haedens, Gaston, Thérond, Mille. Et J.P. qui me serre la main : « Je vous aime bien… vous avez beaucoup de talent ». Et un grand discours sur la nouvelle doctrine : plus de spontanéité, de quotidien ; et il nous dicte nos rôles. Là-dedans, Lacaze semble n’avoir plus aucun rôle. Il paraît que JP en aurait assez, et que Hervé lui-même le lâche. Tard dans l’après-midi et la soirée, discussions. Maquet et Haedens, Gaston, puis Lacaze – Gaston, etc.
Au ciné avec Beï : « Sueurs froides » (Vertigo) d’Hitchcock. Pas bon.

6 mars 1959

Bellanger a écrit à Fayard pour remercier des fleurs qu’on a envoyées à sa « femme » et s’excuser de m’avoir donné une gifle !!!! Vernissage de Calder (Stabiles) galerie Maeght avec Dante. (Impressionnante araignée.) Vu Sandy (Calder), Davidson (gendre de Calder), sa femme, G. Arnaud et sa femme, le fils Prévost et la sienne… Bu beaucoup trop de bière.

7 mars 1959

Déjeuner René Bourdier (des Lettres) et Dante chez Michel, puis Clichy où Dante me lit son journal du transsibérien (pour un scénario à faire).

8 mars 1959

Élections municipales.

9 mars 1959

Logique ! PC en flèche, UNR en chute. 1ère journée de la nouvelle équipe à P.M. (conférence de Thérond, Lacaze mi figue, mi chose, O. Merlin) G. Bonheur absent pour quelques jours… Haedens et Maquet mécontents boudent. Le bruit circule que j’ai torpillé Croizard, etc.
Calder venu au journal. Il part demain pour les USA. J’arrange avec Gatti l’histoire des décors de sa pièce (dont je savais, depuis la place de l’Alma, qu’il serait heureux de les faire). Gatti très content. Avec Chabrun allé voir deux films documentaires de court métrage de Mennegoz – dont il a commenté l’un sur la sécurité sociale. (Avec Dante, j’en avais fait le projet.)

10 mars 1959

Dante : Petrus lui a téléphoné. Il a accepté de faire la musique. Plus exactement, il s’est proposé. Gatti, Calder, Boulez, Marker, une belle affiche, nom de Dieu !
Rognoni m’invite au cocktail de son livre demain. J’ai reçu le carton ce matin. Mais il me dit que les zélés de Fayard avaient hésité : c’est Forest lui-même qui avait décidé de me l’envoyer… (Christine Arnothy, la maîtresse de Bellanger, a profité de la gifle pour obtenir de Fayard qu’on lui publie des « œuvres »).
Papa à Clichy puis rue Custine. Réunion des copropriétaires au Balto. Conneries diverses.

11 mars 1959

Chez Dante pour voir son 1er papier sur Jean Sablon.
Rue Washington, à la Cassita, cocktail pour la sortie du roman policier de Rognoni. Avec Diwo et Dante. On m’y téléphone de Match. Conférence du patron ! En fait, Thérond ne m’avait pas prévenu, ni prévu sur la liste des participants. Que j’y sois convié malgré cela…

12 mars 1959

« Télé pour vous » ne paraît plus. J.P. a jugé périlleux de lancer la chose dans le climat actuel de récession. On parle aussi d’opérations qu’il mènerait contre Del Duca. « Télé » serait repris en octobre. Gatti sur le sable. Je vois Gaston, rentré du Midi : Gatti sera intégré à l’équipe rewriting.
Avec Beï, av. Foch, concert chez les Germain : Webern, Berg, Schönberg. Vu César, Souvtchinsky et Petrus qui est ravi, semblait-il, de partir pour l’Allemagne. (Il parlait d’ailleurs allemand avec les musiciens du quatuor Hermann.) Fait connaissance d’un violoniste Ivy Gitlis – et d’une charmante vieille fille, cousine des maîtres de maison.

14 mars 1959

Vu hôtel Normandy Otto Frank, père d’A.F. (et sa femme). Puis Marchal qui me rend le Brésil relié en veau. Déjeuner Michel avec Dante, Chris et la « metteuse en scène » Sophie Laurence pour le Poisson noir. Promenade ensuite sur les quais par un beau soleil. Puis salle Gaveau avec Dante et Sophie L. Acheté le Marteau sans maître. Concert Webern, Stockhausen (Zeitmasse), Berg, … tout le monde là : Paule, Bernard, Souvt, Petrus, Stockhausen, etc. Avec Beï ensuite à la Pagode pour revoir le merveilleux « Ivan le Terrible » (les 2 parties). Lu « Zazie dans le métro » – Beuh…

16 mars 1959

Coup de fil de Corvol, très content de la gifle à Bellanger.

17 mars 1959

Champetier (de Pathé) au journal pour arranger les affaires de collabo entre les deux parties. À la radio, mon interview sur le « Brésil » par de Ruddler passe. Je le prends au magnétophone.
Gatti : une soirée chez lui avec Sophie Laurence, Auclair et la Paule. Celle-ci, qui ne voit que Barrault, détruit la Sophie à grands coups : son « cinéma » habituel. Auclair s’en va, puis Sophie, complexée au dernier degré dans ce milieu intellectuel qu’elle ne connaissait pas.

18 mars 1959

Écrit TSP. Vu Chris Marker au journal, venu pour voir Dante, sujet pièce. Dante me confie l’Enfant rat : il pense que cela ferait bien pour la lecture, en réservant l’autre pour le grand coup seulement.

19 mars 1959

Lu la pièce de Gatti, l’Enfant rat, dont Cayrol est enthousiaste. Je le suis aussi – sauf pour la première partie, un peu baroque.
Coup de fil de Jeff. Entre autres, il me dit que, sollicitant un visa US pour un reportage destiné à France-Soir, il se l’est vu refusé. Motif : parjure. Il n’a pas dit qu’il appartenait à une organisation communiste (mais laquelle ? le CNE ?)

20 mars 1959

Revu Sabathier, retour de Londres. Toujours abondant en formules illuminantes. Il reprendra sa place, après quelques jours de vacances, à Castres. Toute la journée à revoir un papier de Franco sur l’affaire Lacaze – et d’autre à ajuster.

21 mars 1959

Coup de fil de Croizard à 8 h. Je vais à l’imprimerie du 35 rue François-1er pour relire les textes.

23 mars 1959

Déjeuner au Belvédère. Un client emporte mon imper – qu’il restituera le soir. Vu un Russe, Strogoff (« Journal d’un jeune homme soviétique »), qui vient de la part de Jeff pour proposer un papier sur la jeunesse soviétique et le crime.

24 mars 1959

Fini « Les Yeux courroucés » de Pham Van Ky, recommandé par Jeff. Excellent. Revu et refait la Bégum, de Lapierre. Avec Gicquel, déjeuner et dîner chez Alexandre. Vu au ciné « Victoire en mer ». Très beau (fait avec les actualités de la guerre navale). À 11 h, au Crucifix, vu Helsey et J. Bernard Dervane. 1) Je suggère de continuer l’ordre des journalistes, notre ancienne idée reprise par Brisson et Lazareff récemment. 2) Carte métrobus. 3) Avion

25 mars 1959

Vu Harrer, un Autrichien qui a vécu 7 ans au Tibet et qu’on a fait venir pour l’actualité. Avec lui et Gicquel, dîné chez Mercier au Crazy Horse Saloon, av. George-V (ou : des lamas aux strip-teaseuses). Pris possession du nouveau bureau des « écrivains », la bibliothèque – un asile de paix…

26 mars 1959

Dîner chez Dante, avec Lavigne (de l’Humanité). Parlé de la pièce, celle qui sera lue, l’Enfant rat.

29 mars 1959

Après déjeuner chez Gilbert, les livres sont tous rue Custine maintenant. Promenade place du Tertre (hélas !), puis Champs-Élysées cinéma « La Tête contre les murs ». Moyen.

31 mars 1959

Incroyable histoire à propos d’un papier sur la Bégum, de D. Lapierre. Karim inquiet, sachant que la source des informations provenait d’une amie de la Bégum. On rectifie le tir. Mais au lieu d’imprimer le texte corrigé, la néogravure imprime l’ancien, très anti-Karim. Karim téléphone ce matin pour savoir ce que contient le papier. Thérond, très à son aise, commence à le lui lire – et blêmit : il vient de s’apercevoir de l’erreur…
On déménage samedi et dimanche prochains.

2 avril 1959

Vu TSP pour les livres (suggestion : acheter une revue en train de mourir). Au cinéma : « Les Amants » de Malle, avec Jeanne Moreau. Pas bon, à mon humble avis.

3 avril 1959

Déménagement : l’ascenseur en panne. Gilbert et André Reveney bloqués un quart d’heure.

4 avril 1959

Fin du déménagement. Installation avec l’aide de Gilbert, André, Gatti.

5 avril 1959

1ère nuit rue Custine. Et toute une journée de soleil, de gaîté. La mère à la maison.

7 avril 1959

Avec Dante, dans un gymnase de la rue Chazelles pour entendre la pré-lecture de l’Enfant rat. Très inquiet, le Dante, puis détendu. Les acteurs très moyens, mais consciencieux. Mais le 4 très mauvais.
Couru chez Fayard. Vu TSP pour le « de Gaulle », le livre sur Cuba de M.-H. Viviès, etc. Parlé. Raccompagné bd Saint-Michel. À la maison, visite de tante Fleurette et oncle Henri. Enregistrement au magnétophone.

9 avril 1959

Écrit à Flamant pour proposer l’idée de Thérond (une collection racontant l’histoire en photos). Gaston rentré aujourd’hui après une absence de 3 semaines.
Bu quelques fines à l’eau, puis retrouvé Dante rue Récamier, 2e étage (salle J. Grenier). Moins de monde qu’on ne croyait. 100 – 120. Flamant, Diwo, Obo, Arnaud, Auclair, Prévost, Paule, Bernard, Jacobs… Je lis une présentation et, en avant ; ça marche dès le 3e « acte ». Les acteurs, presque tous, y mettent du feu, de l’énergie et ça passe – au mieux. Seule Paule à la fin protestait : « Non, les acteurs sont vraiment trop mauvais ». Rentré après une courte étape chez les Toussaint (qui ont accueilli les enfants Gatti pour libérer Danielle). Vu TSP.

10 avril 1959

Mort de F.L. Wright, l’architecte. Papier sur Ripetta (une veuve napolitaine qui a tué l’assassin de son mari).
Dante me dit que la Paule a attaqué tout ce qu’elle a pu : la troupe et ses supporters (moi compris, naturellement). Coup de fil de Bardet.

11 avril 1959

Rue d’Astorg, avec Beï, visionné « Je veux vivre », film américain sur une femme condamnée à mort, en Amérique (histoire vraie). Sadisme un peu visible.

12 avril 1959

Resté rue Custine. Visite de Rapinat vers 17 h. Elle parle du journal, de ses ennuis, de Sabathier, de Collin, etc. Collin apporte un papier qu’il faut faire demain. Lui, s’en va faire un procès à Perpignan.

13 avril 1959

Lettre de Maufrais, me demandant d’intervenir auprès de la Transat pour son prochain voyage (en juin) et auprès du Bureau minier guyanais.
Vu Dante : la Paule ivre de fureur contre les acteurs ; a téléphoné à Danielle, a vitupéré contre eux, contre moi, a essayé d’influencer Bernard et d’autres partisans, est venue relancer Dante à la vente du CNE (Sophie Laurence ne lui a pas serré la main), etc. Elle a même provoqué une scène entre Danielle et Dante. Toute la lyre.
Dîné chez les Walter qui avaient une dizaine d’invités : tous professeurs, militaires, catholiques, etc. D’où l’éternel sujet : le latin en 6e, le curé…

14 avril 1959

Lettre de Calder : il sera à Paris en juin, mais part en septembre pour le Brésil (il est « emballé »). Enterrement de Marcelle Simon, morte ruinée. Elle avait été très gentille pour nous avant la guerre en 39-40 et tout de suite après.
Hier Dante. Chris Marker a proposé un comité de relecture du théâtre de Gatti. C’est un os, dit-il, mais il y a de temps en temps des bouts de graisse. Il souhaite que le P.N. soit monté d’abord – pour cela, il va voir Gérard Philipe. Je crois de toute façon que le P.N. a plus d’atouts que l’Enfant rat. Au journal, Dante puis Bernard, maigre (juvénile), absorbé : ça ne va pas. Le manque, peut-être.

15 avril 1959

2e lettre de Calder : que doit-il faire ? Est-ce que son emploi du temps coïncidera avec celui de Dante, c’est-à-dire de la pièce ? Tout dépend évidemment de la demande que tente Chris auprès de Philipe. Fini Gatsby le magnifique, de Scott Fitzgerald.

16 avril 1959

Bernard déjeune rue Custine. Il est « bloqué » dit-il. Ce n’est pas qu’il manque d’idées, mais il ne peut même pas tenir les pinceaux. Il ne sent plus rien de sûr.
3e papier sur Anne Frank.

18 avril 1959

Coup de fil de Paule Thévenin, très détendue. 1) Elle est contre la Laurence ; elle ne veut pas que l’Enfant rat soit monté avant le P.N. (tout le monde d’accord). 2) Il ne faut pas se moquer de Calder. Elle va contacter Roger Blin pendant que Chris touchera Vilar et Philipe.

20 avril 1959

Déjeuner Caputo, Chris et le photographe Fulvio Reiter (Brésil) qui voulait me connaître à cause du livre. Il est très fin, très humain – et quel photographe !
Pierre Joly et Bif (de Paris-Normandie) m’interviewent sur le Brésil. Entre G.B. et Thérond, on est au point de rupture.
Avec Izis et Beï, train-ferry pour Londres y faire Sherlock Holmes.

21 avril 1959

Arrivée 9 h 30. Au bureau P.M., vu J.P. Michaux, puis Mathias, puis un certain Chatard (de la radio). Déjeuner à Soho, puis chez Simpson, puis au musée Tussaud. Grande déception. Mais 1) le gardien de la « chamber of Horrors » était une horreur lui-même, la lippe puissante, l’oeil fixe, et le sachant. 2) À côté des assassins figuraient Hitler, Goering, Goebbels, Ribbentrop.
À Piccadilly, vu le film « Le Chien des Baskerville ». Très mauvais.

22 avril 1959

Westminster vers 9 h (visite des tombeaux), puis la Tamise. Déjeuner au pub « Sherlock Holmes », dont le patron est un type accompli d’imbécile. Puis, Baker street à l’endroit où devait s’élever la maison de S.H. Sabathier Lévêque à Londres. Pris l’apéritif chez Mathias à Grosvenor avec eux tous. Mathias part pour Téhéran.

23 avril 1959

Déjeuner au Coq, Fleet str. avec Sabathier, Izis et un journaliste anglais du Daily Express, ami de Menant, John Guisman.

24 avril 1959

Au pub Sherlock Holmes avec deux acteurs jouant Sherlock Holmes et Watson. Puis, déjeuner au Coq avec un Mr Howlett, spécialiste du détective – et qui y croit. « Un écolier qui n’a pas grandi » me dit sa femme.

25 avril 1959

Pluie. Un vrai temps de Londres. Erré sur le Strand et Fleet street. Déjeuner avec Michaux et Sabathier à l’Old Chesshire Cheese, où burent Johnson et Dickens. Izis, dans la banlieue à photographier ses figurants parmi des statues. Dîner au Regent, puis le ferry à Victoria.

26 avril 1959

Très secoué, le ferry. Mais je dormais. Arrivé 9 h. Il pleut aussi. Téléphoné Dante : Il a été avec Mme Ulrich (la commanditaire de Kafka) au théâtre des Nations voir du Bergman, qu’il n’a pas trouvé bon – et lui a raconté en revanche l’Enfant-rat : elle est enthousiasmée ; elle parle de le faire éditer chez Fisher en Allemagne. Quant au Château, il faut attendre que Franju l’ait lu (il prendrait 4 millions seulement, Gatti 1, et Barrault rien, mais il faudrait que Frieda soit Simone Valère).

27 avril 1959

Vu Dante au journal. Il a été prévenu qu’il pourrait avoir le Fénéon jeudi. Ça arrangerait bien les choses pour le P.N. Côté « Château », c’est le pot-au-noir. Barrault, S. Valère, P. Quentin, Franju, Brod : un salmigondis. Vu Reiter et Folon, un dessinateur ; de la part de Hautier, un jeune éditeur d’art, Tartas, vient me voir. Il fait des livres de bibliophile. Le dernier, des poèmes japonais, coûtera 200 000 F l’exemplaire. Je ferai une lettre pour le courrier.
Vu TSP, enrouée. Examiné le prochain de la collection (la recherche scientifique) ; elle gagne, dit-elle, 50 000 par livre chez Fayard. Je lui montre que c’est de l’exploitation. Elle en convient.

28 avril 1959

Lettre de Stibbe : le procès P.L. passe en mai devant la Cour.
Coup de fil de Jacques Lanzmann que je ne connais pas. Il me demande si je peux l’aider à partir pour Cuba où il va envie d’aller. Je lui suggère Panama. Il me complimente pour le Brésil. Thérond d’accord pour lui donner 100 000 F à titre d’avance.

29 avril 1959

Arrangé, avec Gaston, les affaires, embrouillées, de Dante. Il touchera 100 à Télé pour Vous, et 100 à Match sous forme de piges.
Quelques soucis financiers pour moi. Menant m’avance 250 000.

30 avril 1959

Passé chez les Marchal. J’en reviens consterné. Il a eu une attaque il y a 3 semaines et il est resté paralysé du côté gauche. Il marche avec une canne. Il est triste, triste et parle de la mort : « J’aurais bien vécu, comprends-tu ».
Rue Séguier, TSP, l’ancien hôtel du Chancelier où vint Louis XIV (il y a des chaînes dans la cour). Appartement ravissant. Travaillé. Parlé de Dieu, de son existence et de son inexistence. Journal, puis ciné : les Contes de la lune vague après la pluie. Bien.

1er mai 1959

Rêvé Gatti mort – et moi, écrivant sa nécrologie…
15 h : Gatti m’apprend qu’il a reçu hier, à l’unanimité, le Prix Fénéon (Aragon a fait le bulldozer, puis Berne-Joffroy, et Butor). Hier encore, le Dante s’est engueulé violemment avec J.F. Devay, rédacteur en chef de Télé pour Vous. Baste…
Téléphoner à J.J. (Lerrant) pour annoncer le Fénéon.

2 mai 1959

Avec Dante, vu en projection privée, « Hiroshima mon amour », de Resnais. Un poème qui n’a pas voulu aller jusqu’au bout. Puis, rencontré un « producteur » M. Loubignac ou Daulignac qui s’intéresse à L’Enclos (Echéance à l’aube) ; voudrait des échos pour amorcer l’affaire, faire venir le fric.
Déjeuner au restaurant chinois de la rue du Colisée avec Dante, Danielle, Stéphane et Anne-Laure (ou Hannelore).

3 mai 1959

Déjeuner chez Dante, qui vient ensuite rue Custine (à la TV finale de la coupe Le Havre-Sochaux, 2-2). Dans la soirée, visite de l’oncle René, de sa femme et de tante Fernande.

4 mai 1959

Henri Mounier, dessinateur, un ami de F.J.A. Armorin, est mort. Je le connaissais un peu. Dîné Gaston, rue B. Palissy, chez un « pays » à lui – aux chandelles. Parlé de tout : du Midi qui bouge et s’industrialise, de l’égalité sociale qui y règne depuis les Albigeois (extermination de la noblesse locale par les envahisseurs) – et du journal : il s’agit, pendant le ‘congé’ de Thérond, de pousser Farran afin que l’autre ne se croie pas indispensable. Opération Gaston, Farran, Chaland.

5 mai 1959

Ariane fait 14,5 Kg. Elle a gagné 1,5 Kg à La Seyne.
Dante : 1) Mme Ulrich, sa protectrice et commanditaire, demande une « continuité » pour le Château. Nous allons faire cela. 2) Elle est prête à monter l’Enfant rat – elle cherche seulement un metteur en scène. Là-dessus Gicquel intervient et parle de Planchon. C’est un signe. Truffaut, protégé de Bazin et auteur de « Les 400 coups », déclare à Camus que, seul, Resnais a du génie.

6 mai 1959

Vu Dubois qui parle de Dante (« Il n’a pas que des amis ») et de Boulez (son ingratitude envers le Souvtchinsky).
Obtenu, à force d’insister, que la conférence quotidienne reprenne. Chabrun, des « instantanés » (en « perdition »), va faire un papier. Lui, Collin, Ken, j’essaie de les amener chez moi. Vu Cavalcante, journaliste brésilien, qui m’apporte des coupures de presse (sur mon livre). Il veut en faire la traduction.
À 18 h chez Bedel, rue de l’Estrapade (maison de P.L. Courier). En l’honneur de D. Desanti. Vu Gojurkei, ambassadeur de Pologne (celui qui a extirpé à de Gaulle une phrase sur la frontière Oder-Neisse), R. Grenier à qui j’ai parlé de Fénéon, TSP et son mari, à laquelle j’ai remis l’Enclos, une photo et le projet Thérond.

7 mai 1959

La pièce du Mufti, le Cercle des représailles, serait représenté par Vilar au Récamier – c’est ce que dit « Arts ». De jolies bagarres en perspective.
Gatti à la maison. (Je n’en ai pas bougé aujourd’hui, fatigué par le whisky d’hier.) Ensemble, nous « faisons » le Château. Difficulté, pas de fin ; comment fondre l’histoire de K et celle d’Amalia ?

8 mai 1959

Bouclage – sans Thérond, Gaston en belle forme.

9 mai 1959

Conférence de rédaction. Déjeuner Custine avec Dante. Travaillé au « Château ». Visite de Chris Marker et de Natacha. Ils m’empruntent 50 000. Dante a fait son premier papier pour Match. Dans les journaux, grand bruit autour de la présentation à Cannes (hors compétition) d’Hiroshima. « C’est une merde », a dit M. Marcel Achard. Le Figaro contre. Les jeunes pour, et l’Huma. P.M. fera un article.

10 mai 1959

Chaleur d’août. L’aprèms avec Beï et la piote au jardin d’acclimatation avec petit train et tout.

11 mai 1959

Déjeuner Custine pour le père Marchal (mieux), sa femme et Dante. Parlé d’Armorin. Sabathier a fait un papier qui passe. C’est sa rentrée. L’angoisse lui passera, pour un jour.
Lettre de Calder sur le P.N., de Menant de Téhéran où il fait un reportage sur les richesses de l’Iran. Gicquel, chargé de faire un papier sur Resnais, me demande de le « contacter » par J. Caputo. J’essaye. Pas eu.

12 mai 1959

Pas eu Resnais au téléphone. Ah, ces écorchés vifs… Coup de fil d’Helsey sur le Prix. C’est entre Théolleyre et Lanzmann. Je dis Théolleyre.
Rencontré Henry Miller dans le bureau de Gaston. Ils allaient déjeuner ensemble. Parlé avec lui. Il est petit, maigre, chauve, vieux, mais il y a une folle malice dans ses yeux. Ses jugements : Cartier est génial, P.M. est meilleur que Life, le Japon est très bien, les Américains en raffolent…

14 mai 1959

Dans Arts, papier de Sollers sur le P.N. Au Seuil, la vente du P.N. a aussi beaucoup monté. Théolleyre, Prix Albert-Londres.

15 mai 1959

Roux, l’administrateur, a eu un accident de voiture. Au journal pour finir le
« Château » avec Dante. Vu Yael Dayan, fille du général israélien, venue voir si le papier sur elle passe. Vu Klein, photographe, qui publie un album au Seuil : il part pour Moscou et voudrait savoir si Match serait intéressé.

16 mai 1959

1) Eu le pressentiment ce matin que quelque chose était possible, encore possible.
2) Puis, tombé dans l’escalier.

19 mai 1959

Déjeuner chez Joseph avec Farran. Parlé des problèmes en cours. J.P. lui a promis le titre de rédacteur en chef (mais il paraît qu’il a hésité jusqu’alors parce qu’il n’aime pas attaquer de front). Gatti me remet un chèque de 50 000 pour le Château.

21 mai 1959

Vu Klein, le photographe ami de Chris. A vu Chaland pour son projet de reportage à Moscou. Envoyé Sabathier en Israël et Gicquel à Lyon. Gatti, deux papiers acceptés. Menant en Iran. Collin marche bien, me seconde.
France-Soir : un écho me signale comme « l’auteur de la musique du film Orfeo Negro »…

22 mai 1959

Téléphoné TSP (Heiner est allé la voir pour un livre sur Von Braun). Gatti rapporte le Château : il faut le présenter d’une façon plus accrocheuse pour les producteurs.

25 mai 1959

Au Seuil, avec Gatti. Vu Bardet qui me remet l’analyse du projet, vue par son confesseur (la Revue). Avec Gatti, pris la décision de faire L’Enclos à fond, nous-mêmes, puis un autre film, mais seulement ceux que nous aimerions.

26 mai 1959

Avec Dante, chez Klein, rue de Médicis, puis, ensemble, plus Mme Klein, dîné chez Michel. Parlé Russie (K. veut y aller), cinéma (il travaille à des essais), peinture (il y a renoncé), etc.

27 mai 1959

Crise au journal. Lacaze et Carone envoient leur démission. Ils ont été engueulés par J.P. Ils vitupèrent Dubois qu’ils accusent d’être à l’origine de l’histoire. « J’ai donné 10 ans de ma vie au journal… » À la fin, ils voient Prouvost et ça s’arrange (mais ils ne le feront pas deux fois !)
Avec Dante et Beï, au théâtre G. Baty – ‘Henry IV’ de Shakespeare par Roger Planchon et sa troupe de Villeurbanne. Très bien. Après, vu Planchon au café : Gatti lui expose le projet Ulrich – P.N. – Planchon me fournit les éléments d’un « télégramme » pour Match.

28 mai 1959

1ère maison de la Culture à Villeurbanne.
Après dîner, avec Gaston, chez J.P. rue de Rivoli pour rencontrer Camus ; il y avait Manzone, Madame (qui gifla Cartier), Élisabeth Danet, les Kermaingant. Parlé du film, du Brésil, de la société parisienne, de Rothschild, etc.

29 mai 1959

Grande fatigue. Le Château revu, refrappé. Mme Ulrich convoque Dante.

30 mai 1959

Dante au téléphone : Mme Ulrich congédie Franju (qui devait tourner le Château) et décide de prendre Resnais. (Chris tournera, de son côté, le Dylan thomas.)

1er juin 1959

Grève de métro.
Avec Beï, à Saint-Cloud (LTC) pour voir l’Orphée noir de Camus. Il y avait, outre Camus et Morgan, la femme du président Kubitschek, ses filles, Brigitte Bardot (dont on a vu un bout de film « Babette »), Bécaud, Raoul Lévy, etc. Orphée noir : la fusion n’est pas faite entre le documentaire-carnaval et le mythe. Mais c’est très bien conçu. Au journal : Dante. On va se mettre demain à Echéance (pour les Yougoslaves qui veulent une continuité plus étoffée, plus les changements qu’on y a portés id est : juif au lieu d’Espagnol, mort en avalant la langue, etc.).

2 juin 1959

Travaillé avec Dante à l’Enclos. Pas allé à la réunion du Seuil (Lesort, le musulman polonais, Flamand, Braudel et le R.P. Plaquevent, Bastide). Braudel me téléphone ensuite. RV un autre mardi.

3 juin 1959

Vu TSP le matin chez Bonheur – pour révision livre. Marcel Camus l’après-midi pour le papier à faire.
Dîner chez Croizard (la première fois que j’y revenais depuis la mort de sa femme).
Rue d’Astorg, projection privée de « Some Like it Hot » (M. Monroe). Très drôle.

4 juin 1959

Avec Beï chez Thérèse de St Phalle. Une réception : le mari, Toussaint, Bedel, etc. Gatti : dit que Katia K. est amoureuse de lui et qu’il a dû, dans un déjeuner, lui dire qu’il ne pouvait pas répondre à ses feux.

5 juin 1959

Téléphone de Calder nous invitant, Dante et moi, à Séché, où il vient d’arriver. Gaston : j’ai obtenu l’augmentation maintenant et non pas en octobre.
Avec Dante, toujours l’Enclos. Manzar me confirme que Camus me demandera de lui « renvoyer la balle ». Lettre de Maufrais me demandant de vérifier, auprès d’un Bolivien nommé Zobathy, si son fils est vivant (ce que ce type prétend). Pas réussi à le toucher.

6 juin 1959

Gatti : invité à travailler à une émission TV avec Michel Cournot (sur le thème du film à sketches : Amoro in citta, de Rossellini, Fellini, Antonioni, etc., faits divers). Avec Gaston, travaillé papier Camus (nouvelle formule).

7 juin 1959

Revu l’Hemingway de Dante – qui vient ensuite avec Bernard Saby, toujours à plat. Mme Ulrich ira avec nous voir Calder, mais lundi ou mardi.

8 juin 1959

Eysses : les lettres des enfants, les ossements. Dachau : le pire, c’est qu’on ne sentait plus. On était triste de ne pas pouvoir être triste. Ce sont des choses qu’il ne faut pas vivre, mais avoir vécu, qu’on est heureux d’avoir vécu.

9 juin 1959

Mistral pour Lyon. J.J. à la gare. Progrès. Hôtel de Russie. Liliane, qui vend des disques place des Terreaux (ils sont séparés ; lui vit avec une actrice mais ça ne va pas et Liliane atterrée…), puis Le Progrès : on y recevait Townsend qui présente son film. Dîner avec Montand, J.J. et Honorine, et Rivière – qui parle de la révolte d’Eysses et des camps de concentration merveilleusement.

10 juin 1959

Vu Liliane. Perrache avec JJ/C. Le train de Valence. Cheveux à mèches grises, lunettes noires mais le même visage. Très nerveux. Déjeuner. JJ, C. et Honorine rue de la République, puis au théâtre antique (où l’on répétait Cyrano de Bergerac). Soleil, nuages, voix d’enfants. Parlé longuement – Bob le médecin, 5 enfants. Le renoncement traduit inconsciemment par les cheveux gris. Descendu à pied, puis Perrache, buffet, tristesse. Train. 3 heures entre 14 h 15 et 17 h 18.
Le soir avec JJ, Honorine et une de ses amies, au théâtre Antique : Cyrano de Bergerac (Jacques Dumesnil). Rentré. Couché. Rêvé.

11 juin 1959

Brève rencontre. Train pour Paris (L’Aquilon, 8 h).
Vu dans l’ascenseur J.P. (Jean Prouvost) qui est navré que le sujet Orphée noire soit pris par France Soir, pense que mon texte en versets était bon et me rappelle pour me dire en souriant que ma situation est réglée – ce que Gaston confirme après : 400 à dater du 1er juin. Coup de fil de Marcel Camus qui me demande si je peux faire le roman de son film pour Seghers (ce que je refuse) et me confirme son intention de travailler avec moi pour le prochain film.
Film de Klein à 19 h 30 : ‘Broadway by Light’, avec Dante. Puis avec Beï chez Corvol, réception. Vu Ancelot, Busson, Colliard, Desjardins… Larquier, sachant que je venais, s’est dispensé d’être là.

12 juin 1959

Trouvé hier le titre de la pièce de Dante – celle qu’il avait d’abord appelée ‘Gare de l’Est’ – le nouveau titre tiré du texte : « Je reviendrai, Mme Radienze ». Reçu la lettre confirmant augmentation. Depuis le retour de Lyon, la pensée ne me quitte guère. Mélancolie, joie.

13 juin 1959

Pris Dante et Mme Ulrich, 8, rue de la Paix (son appartement), puis dans sa voiture, une Simca sport, à Saché, par un très beau temps. Arrivée midi. Calder là, Louisa, Davidson, le petit Shawn, sa mère malade pas vue. L’Indre paresseuse, le vent sifflant dans les peupliers, les mobiles en évolution. Déjeuner. Dante explique : pour le P.N., attendre – mais si Calder veut faire les décors de l’Enfant Rat (que Dante raconte), alors oui, tout de suite. Calder donne un petit mobile à Dante, et une veste de sport à chacun : verte pour Dante, rouge écarlate pour moi. Dîner à Chartres. Parlé de l’amour – unique et absolu. Très exalté et déprimé à la fois.

15 juin 1959

Lettre Valent. Bonne, émouvante.
Gaston triste : sa fille, Fanchon, en qui il avait mis ses espoirs, a échoué pour la 3e fois au PCB. Reçu au journal le magnétophone de Stuttgart la Tempête (70 Marks).

16 juin 1959

Conférence au Seuil : Bardet, Flamant, P.P. Plaquevent, Choskievitch, Lesort, Bastide, sur la revue (d’ici 1 an !). On parle de la société d’amis qui aurait la propriété du titre – et contrôlerait la revue. Flamant, très réticent, et baillant même.

18 juin 1959

Altercation avec Carone au sujet des photos pour Fayard. Prix Armorin, cercle Interallié (Helsey, Genlon, Secretain, Bancol, Sevry, Lemoine, Wolff). Lauréat : Carré pour qui je n’ai pas voté. À 18 h, chez le consul du Brésil, ami de Sevry, qui organisait un cocktail pour le Prix. Vu une très vieille dame (92 ans), énorme, en chapeau à fleur mauve : Mme Courteline. Rentré avec Menant.

19 juin 1959

Gatti a vu Resnais qui refuse gentiment de faire le Kafka. Dante se déclare très entamé par lui : au point d’avoir douté de son travail au milieu de la nuit et d’avoir trouvé, vers 6 h du matin, que le suicide, mon dieu…

21 juin 1959

Gatti rue Custine. Travaillé à l’Enclos.

22 juin 1959

Travaillé avec Dante l’après-midi. Calder venu nous voir (et Chabrun pour lui remettre son petit mobile). Vu Arnaud (Salaire de la peur) et son metteur en scène Nagel, qui veulent que je réduise en synopsis de 20 pages, une nouvelle d’Arnaud de 90 pages. Prix : 50 000. Réponse demain.

23 juin 1959

Je refuse de faire le synopsis et propose Collin. Accepté.
Déjeuner avec Dante et Bourdier chez Michel, puis travaillé l’Enclos (3e temps).

24 juin 1959

Travaillé l’Enclos. Avec Bonheur et Mille, chez Prouvost pour étudier une nouvelle série couleur du genre « Peintres » ou « Fleuves ». Il m’a écrit une lettre pour me remercier de lui avoir envoyé le Brésil – et fait allusion au fait que Camus m’a demandé d’écrire les dialogues de son prochain film.

25 juin 1959

Obtenu les photos au sujet desquelles le Carone n’était pas d’accord, l’imbécile !

26 juin 1959

TSP m’invite chez elle vendredi pour y voir PMF. Impossible aussi (quoique cela eût pu servir pour « durer » jusqu’à vendredi à Lyon).
Papier de Gaulle en Italie (Collin) et Earl Song (Sabathier) surtout celui-là.

27 juin 1959

Lu ‘Justine’ de Durrell.

9 juillet 1959

Lu les Historiettes de Tallemant. Toutes ces agitations, ces mouvements, bravoures pour le néant ! Téléphoné P.M. : Chabrun a loupé son papier ; Gatti : envoyé sur le Tour de France, fait le sien (il n’a pu, comme je lui conseillais, disparaître de la circulation pendant mon absence).

16 juillet 1959

Vu Dante en train de faire taper la pièce des chats (le Grand Chou). Vilar lui a téléphoné pour un rendez-vous, soit à Avignon, soit à Sète ensuite.
Conférence patron 6 h avec Thérond, Diwo, et Farran, nouveau rédacteur en chef.

17 juillet 1959

Papier sur Bahamontes, vainqueur (demain) du Tour. Fait avec Dante.

18 juillet 1959

Chaleur suffocante. À P.M., vu Dante : il me donne le dernier état de l’Enclos pour que j’écrive le scénario.

20 juillet 1959

Prêté Rolleflex à Natacha Michel, amie de Chris.

21 juillet 1959

Dante a vu Reybaz – qui lui propose de monter le PN pour le compte du théâtre de France (Barrault). Mais il y a Vilar qui, lui, veut s’attacher le Gatti entier plutôt qu’une pièce. (Il verra çà en rendant visite à Vilar, soit à Avignon, soit à Sète.)

24 juillet 1959

Bouclage. Un chapeau pour St Ex. Révision du papier Le Bailly sur la course « Arch to Arc » (Paris-Londres). Il est 10e.

28 juillet 1959

Collin m’invite à déjeuner rue de la Cavalerie dans un restaurant basque (vin au tonneau). Avec Beï au cinéma : Yang Kevei Fei, de Mizogushi (moyen) et Nuit et Brouillard (re-vision). Puis, sur les quais, fleuristes et marchands d’oiseaux.

31 juillet 1959

Papier Menant sur les « blousons noirs » refusé par Farran (trop « reportage », choquant) : J.P. serait furieux. Il le refait comme un rapport. Je reste avec lui.
Lecture : Le 3e Reich et les juifs (Poliakoff). Terrible, même pour moi, même en 1959 après l’usure.

2 août 1959

Parti pour Hayange avec Beï, Ariane et Thérèse.

3 août 1959

Les parents partis pour St-Raphaël dans l’aprèms. Nous voici patrons.

5 août 1959

Travaillé aux dialogues de l’Enclos.

6 août 1959

Carte de St-Raphaël. Mon père : « Avec moitié moins d’étoiles, ça aurait été aussi bien ».

10 août 1959

Après dîner, chez les Michel dans leur nouvel appartement.

11 août 1959

Terminé, en gros, l’Enclos.

13 août 1959

Terminé Gog et Magog, de Martin Buber. Excellent. Téléphoné à Dante. Parlé de l’Enclos. Moranbong serait un succès, dit-il , c’est l’avis de ceux qui l’ont déjà vu.

14 août 1959

Ecrit à Maufrais pour R.V. à Paris. Il part le 24 pour la Guyane.

15 août 1959

Avec Beï, Mme Hazan, sa sœur Germaine et la fille de celle-ci, Michelle, à Mondorf par le car de Thionville. Mondorf, inchangé : et le concert de la fanfare toujours aussi cacophonique. Mais plus de Jengel cheu (le petit train).

16 août 1959

À Luxembourg, avec Jacqueline Bouché et son mari.

17 août 1959

Gérard Geig du Parisien libéré est mort (70 ans).

19 août 1959

Train de Paris 8 h 33. Arrivée 14 h. Vu Dante : il part demain pour Sète, pour y voir Vilar. Vilar veut monter le Crapaud-Buffle, ce qui embête Dante : 1) C’est la moins audacieuse de ses pièces – 2) On peut y voir des allusions politiques (un vieux pays vivant dans son passé, un général, etc.). Je lui conseille de ne pas tenir compte de ça. Bu un verre avec lui et Auclair à la Ferronnière.

20 août 1959

Vu Maufrais, venu avec sa sœur. Il est amaigri et plutôt faible. L’ai présenté à Gaston. On lui donne 225 000.

22 août 1959

Vu Gaston – avec Collin. Parlé papiers, d’augmentation de Collin. Avec Sabathier, proposé audit Collin de réclamer la Légion d’honneur. Ça l’intéresse. Dîné avec Sabathier, Bd Saint-Germain. Il va mal, il boit, ne croit plus à la réussite, sauf en se forçant, regrette le passé « où il était quelqu’un », déteste G.B., parle de cyanure.

23 août 1959

Travaillé l’Enclos.

24 août 1959

Vu Maufrais qui reçoit son chèque (200 000). Vu ensuite Sabathier avec la fille de Picasso. Bu un verre au Victoria. Toujours aussi dure contre les gens qui entourent son père, surtout la femme. Elle aime son père comme une amante et jalouse les autres. Vu Flinker, venu pour un reportage sur Churchill, Onassis et la Callas qui n’a pas passé. Il veut se rembourser des frais.

25 août 1959

Beï revenue avec la diablesse et Thérèse.
Gatti retour de Sète : a vu Vilar qui promet de monter le Crapaud-Buffle au Récamier. Mais, il ne faut rien dire ! Saby a accompagné Dante.
Vu mon médecin Touraine pour les cheveux. Vu Bonheur pour organiser l’enquête sur « les phares » (Baudelaire). Suggère à Barzelain de s’agréger à l’équipe Diwo parce que le TPV (Télé pour Vous) bat de l’aile. Gaston accepte.

30 août 1959

Calder à Paris. Dante le voit aujourd’hui. Je travaille à l’Enclos.
Coup de fil de Dante : C’est bien le Crapaud-Buffle – Vilar est formel, Dante fera le premier spectacle du Récamier. Mais il ne doit en parler à personne : Vilar se réserve de faire une conférence de presse.

31 août 1959

Chez Dante à 19 h 30 : les Calder (Sandy, Lucia, Davidson, Sandra et sa sœur Mary, plus le petit Shawn). On repart avec eux et les Dante (Danielle et les deux petites, Steph est en vacances). Rue Custine. Dîner gai. Lever du camp : 24 h. Ils partent demain pour le Brésil.
On a mis la bonne Thérèse à la porte. Elle ne faisait plus rien. Elle se disait exploitée !

1er septembre 1959

Vu TSP chez elle. Parlé des travaux en cours, de la situation, de la déception de Gaulle (qui ne fait rien pour arrêter la guerre d’Algérie), etc. Ensuite, dans une librairie de la rue St-Séverin où je lui fais cadeau de « Le Cdt d’Auschwitz parle » et du « 3e Reich et les juifs ». Je reçois « Proverbes … », un livre minuscule.

2 septembre 1959

Visite d’Eisenhower – avec un enthousiasme fabriqué.

3 septembre 1959

Relu « Le Grand Meaulnes ». Levé à 4 h du matin, saisi par une idée de correspondance avec Valence : 5 gr de chlorure de cobalt dans 100 cm3 d’eau distillée. Acheté chlorure de cobalt et eau distillée chez Bailly.

4 septembre 1959

Avec Dante, dîné chez Auclair, quai Louis-Blériot.

6 septembre 1959

Dante à la maison : on a collé les 80 feuillets de l’Enclos au mur pour y voir clair – faire les liaisons – couper – équilibrer.

7 septembre 1959

Le Dante dans le rêve et l’exaltation. Vilar va lui faire imprimer à 10 000 exemplaires le Crapaud-Buffle. Il lui a même déjà parlé d’une seconde pièce à monter. Visite de Flinker qui voulait voir Dante. Il se laisse pousser un petit bouc noir. Il a vu Sabathier, l’ancien ami aussi de Thomas Harlan.

10 septembre 1959

Chaleur. L’été ne veut pas mourir. TNP avec Menant et Katia Kaup (l’amoureuse de D.). Conférence de presse de J. Vilar. Il annonce son nouvel auteur : Gatti pour le Récamier devant 100 journalistes. Le nom est prononcé ! Vu Paule Thévenin. Dante n’est pas intervenu. Ensuite, Menant nous mène à toute allure bd Péreire voir Larry pour le devis de l’Enclos. Très sympathique. Assistant de Gance pour Austerlitz. On dîne avec lui chez Michel, puis, au Royal, un verre. En me quittant, Dante, heureux, m’embrasse. Belle journée – pour lui, et aussi pour moi !

11 septembre 1959

Fait papier Kay Kendall, morte de leucémie l’autre jour.
Quelques journaux annoncent l’événement Gatti.

12 septembre 1959

Les Russes lancent une fusée vers la lune. Lunik II doit l’atteindre demain soir. (Krouchtchev arrive aux E.U. mardi.)

13 septembre 1959

Temps d’abord couvert, puis clair. Grosse chaleur. Vers le soir, vent. La lune enveloppée d’un halo. Travaillé à l’Enclos. Gatti au téléphone : le directeur du théâtre de Vienne montera l’Enfant-rat. Dante refait la fin du Crapaud-Buffle.
Vers 22 h sur la terrasse : une demi-lune jaune, entourée de quelques nuages au-dessus du bâtiment A, à gauche du sacré-cœur illuminé. Peu d’étoiles. La radio annonce que les instruments radio de Lunik se sont tus à 22 h 02 : elle a donc aluni. Ensuite, écouté la 3e symphonie de Beethoven, l’Héroïque, juste ce qu’il fallait.

14 septembre 1959

Gros titres dans les journaux, l’alunissage… Dante très content de tout. Son plus bel été. P.M. paraît avec des photos de Krouchtchev dans l’intimité. Il part demain pour Washington.

15 septembre 1959

Conduit, avec Beï, la petite à l’école maternelle de la rue F. Flocon. 1er jour.

16 septembre 1959

À 20 h, le Sphinx a parlé : offre d’indépendance, si les Algériens le veulent 4 ans après les combats. Pas de négociations.

18 septembre 1959

Prêté 5 000 à Dante (Sophie Laurence a téléphoné à Danielle : elle prétend avoir des droits « oraux » et veut monter une pièce de Dante tout de suite).

19 septembre 1959

Travaillé avec Dante à l’Enclos. On doit le remettre demain à Mme Ulrich.
Gatti : Boulez, après avoir demandé la Légion d’honneur, l’a refusée. « Il ne pouvait pas l’accepter d’un tel gouvernement » (Souvtchinsky pensait ainsi).

20 septembre 1959

Avec Dante et Larry (qui a fait le devis) chez Mme Ulrich de 14 h à 20 h. Lecture par Dante de l’Enclos, enregistré au magnétophone, puis discussion du devis : environ 90 M. Maintenant, ça prend forme enfin. Dante, dans son rêve toujours : Vienne va lui monter l’Enfant rat, il a vu Boulez (mais il ne fera pas la musique), demain, il s’inscrit aux auteurs et compositeurs, etc.

21 septembre 1959

Téléphoné à Stockhausen à Cologne pour Gatti : veut-il faire la musique du Crapaud-Buffle ? 45 secondes de chant psalmodié, 2’45 de percussion, 30’ de l’hymne national. Il a ri à propos de l’hymne. Je lui ai dit : Haydn en a fait des hymnes nationaux. Réponse : Mais je ne suis pas doué comme lui. Il hésite. Il n’a pas le temps – doit aller à Berlin. Dante doit lui téléphoner demain matin.

22 septembre 1959

Allé au Récamier voir Dante. Lui ai montré mon texte pour le journal TNP. Ensuite, on l’a porté chez l’éditeur (l’Arche).

23 septembre 1959

Envoyé un télégramme à Stockhausen pour la musique du film. Orano est mort à Rome (crise cardiaque, selon Libération).
Dans « Arts », papier sur Gatti où on lui fait dire : « Je suis un mystique ; ma mère m’appelle Belzébuth ». Arrangé ma bibliothèque.
Coup de fil de Dante : Alain Resnais accepte de superviser le film.

24 septembre 1959

Réponse de Stockhausen : il ne peut pas. Tournée de concerts.
Dante : ça marche, aujourd’hui j’ai « vu » la pièce.

25 septembre 1959

Dante : son chat, Chris II, a agonisé 2 jours sur un toit. Il l’a fait piquer. Il en est tout bouleversé encore. Il a changé 2 ou 3 répliques – ensemble, fait liste des invités pour Paris-Match.
Obolensky revenu d’URSS. Il a vu la maison de son père – et le même lustre éclaire les habitants d’aujourd’hui. On ne conteste pas le régime, mais on veut plus de liberté et de biens matériels. Le pays est en pleine mutation. Bouclage. Revu papier J.M. Sabathier sur l’avocat Jaccoud de Jarnac.

29 septembre 1959

Prêté 20 000 à Danielle.

30 septembre 1959

Gatti grippé chez lui. Coup de fil de Bernard. À propos de Dante, de la peinture… Je lui dis que des savants soviétiques affirment que des êtres évolués existent dans d’autres planètes. Le voilà tout ragaillardi, heureux, lyrique…

1er octobre 1959

Clichy : visite de l’appart pour un client. Avec Dante, chez Gaston. Parlé de la pièce qu’il soutiendra. Puis, au Lutétia : réception pour le 10e anniversaire de la Chine populaire. Revenu au Palais-Royal à pied, en devisant (théâtre, ciné, Sophie Laurence et ses dépits, Vilar, Bernard qui tourne mal, etc.). Une chaleur d’été.

2 octobre 1959

Dr Guérin. Il m’envoie faire de la rééducation musculaire à Lariboisière.

3 octobre 1959

Lariboisière : entre les deux cuisses, 3 Cm de différence à récupérer. Exercices dans une salle avec des appareils, des moniteurs, etc. Vu Dante au journal. Doit faire un papier sur M. Brando. Me dit que Saby a accepté, ce matin, de faire une cure de sommeil dans une clinique (il déraille, dit-il).

4 octobre 1959

Deux ans après Spoutnik, les « Russes » lancent une « station interplanétaire » (278 Kg) qui photographiera peut-être l’autre face de la lune. (Ce sont les « Russes » qui l’ont lancée ; s’il s’agissait d’autre chose, chose de guerre, de police, ce seraient des « Soviétiques ».) Commencé « Le Dernier des justes » de Schwarzbart, dont Dante et Izis disent merveille.

5 octobre 1959

Visite de Pacaud (de Détective), très amer, très triste – dégoûté de tout et du journalisme en particulier. Il aura mis 7 ou 8 ans… Menant, présent, en est frappé : « Voilà ce que j’aurais été si j’étais resté au D.L. ».

6 octobre 1959

Lariboisière : 2e séance de mécanothérapie – en caleçon (bicyclette, poids à la jambe, etc.).
Dante me montre une partie de son poème à paraître dans la revue « Plus » : « La Chute de Berlin ». Calligramme symbolique, la mort du zoo, le feu, des pendus, toutes les obsessions du « gros ».

7 octobre 1959

Dîné chez Mme Ulrich avec Dante, Larry (qui part en Yougoslavie), un journaliste suisse et un italien (à propos d’un fait divers suisse qui tente Mme Ulrich pour un film). Rentré tard.

8 octobre 1959

Berenson mort – lègue tout à Harvard. Je me rappelle mon voyage de 1948 à Florence : la municipalité, guettant sa mort, le cajolant…
Bernard à déjeuner. Très enjoué, même bruyant, la voix fracassante. Et tout de suite : Me Eckart, les chiffres, les mondes habités, Chouang Tseu, le taoïsme ; Michaux a tout compris : c’est Dieu – et une haine solide contre Boulez : Je ne veux plus le voir d’ici 7 ans. B. c’est la peur, la lâcheté. On l’a supporté trop longtemps, etc.

9 octobre 1959

Bouclage : papier Collin sur Grace de Monaco à revoir jusqu’à 3 h du matin. Et encore : s’occuper de Katia Kaup, licenciée par Roux et des invitations de Dante, etc.

11 octobre 1959

Peint en vert la balustrade de la terrasse. Pluie. Dante à déjeuner. On fait son papier sur Marlon Brando.

12 octobre 1959

Lettre Calder : il revient de Brasilia ; on lui a commandé quelque chose pour là-bas. Chateauneu au journal. Je lui fais faire un test sur un papier Townsend (il se marre). On a besoin, dit Gaston, d’un violoncelle.

13 octobre 1959

Gaston a trouvé très bon le papier Brando.
Le grand-père à déjeuner (avec Gil et Jacqueline). C’était la première fois qu’il venait rue Custine. Ai enregistré au magnétophone ses histoires.

14 octobre 1959

Gatti : Amato, dont la mère est malade, abandonne les répétitions, Jean Vilar furieux. Menant, pressenti par Clerc pour Jours de France.

15 octobre 1959

Coup de fil de Dante : pas de « tête » pour le Crapaud-Buffle (Amato ne s’étant que rendu libre pour aller faire de la radio « Signé Furax »). Il faudra supprimer la fin. Dante refuse l’option de l’Enfant rat à Mme Germain et J.M. Serreau, sur le conseil de Négroni (qui connaît bien Vilar…).
Attentat contre Mitterrand, des activistes dont on reparle depuis hier « Des tueurs ont passé les frontières ».
Vu Helsey au journal. Il est très inquiet de l’avenir de l’association des G.R.F.
Reçu « Bref », journal du TNP avec un article de moi sur la pièce de Dante. Dante à la TV vers midi (émission Match). Très bon, paraît-il.

17 octobre 1959

Coup de fil de Mme Ulrich, au sujet du film, de l’argent, du Crapaud, etc. Visite et déjeuner du frère Quentin Bénard (cousin de Bretagne) du Congo (barbu, lunetté).

21 octobre 1959

Couturière du Crapaud-Buffle. 17 h 15, aux Deux Magots avec Bernard et Dante, un peu pâlot et abattu. De là, sous une petite pluie, vernissage Michaux (taches) près de la place Beauvau. Puis, sans Bernard, à pied chez Michel. Des cars de police partout. Manifestation de fonctionnaires ou Tête d’Or chez Barrault (théâtre de France) avec de Gaulle ? Devant l’Élysée, deux prêtres : déjà le Crapaud-Buffle. Puis, Récamier : Chris, Mme Ulrich, Zegel, les Diwo, les Bonnardot, Paule, Bernard, Jacobs, Cayrol, Caputo, Danielle (les enfants gardés par la grand-mère Gatti), les Auclair, les Menant. La salle à moitié pleine, hésitante au début, puis accrochée. Quelques imperfections d’acteurs – et plus rarement de rythme. Chez Mme Ulrich, par la voiture du Dr Thibault : elle part demain pour Zagreb. Danielle, Beï, Thibault et plus tard Flinker, Dante (sorti d’une répétition dernière) et l’acteur qui fait Huacorinse, Négroni et sa femme – lequel juge mauvaise la représentation par rapport à ce que ça avait été avant. Rentrés à 2 h du matin.
Michel racontant l’émigration des gens du Massif Central vers l’Espagne et leur retour au pays natal.

22 octobre 1959

Fatigué. Bons échos du C.B. à Match, de Vialatte, (Ionesco à côté, ce n’est plus rien… C’est le Brecht français).

23 octobre 1959

Dante au fil. Salle interdite, silencieuse. La pièce que nous avons interprétée… Personne dans les coulisses. On n’avait jamais vu cela. La presse : F.S. abominable, Le Monde idem, Paris-Presse assez bon. Fait papier Collas. L’attentat contre Mitterrand, dit un quidam, a été monté par lui-même.
La générale : Beï, Bernard, Michaux, Tézenas, Sablé, Flamant, Beuve-Méry, Butor, Cl. Roy. Les acteurs bien mieux (Michaux cependant : Je n’ai jamais vu quelqu’un jouer si mal un rôle principal). Applaudissements. Michaux a marché. Dante heureux. Après, au Récamier, souper : les Gatti, Bernard, Sablé et nous. Pichette devait venir… Planchon avait envoyé quelqu’un chercher Gatti. Il veut monter du Gatti lui aussi. Lettre de Vilar à Dante hier. Il me l’a montrée. Du Daudet.

24 octobre 1959

Massacre dans le Figaro, Libé, Paris-Jour. Bon dans l’Aurore. (Le Gautier est particulièrement soigné. L’invective pure.) Gatti au fil : le sait déjà, mais a très bien encaissé.

25 octobre 1959

Train Allemagne 20 h.

26 octobre 1959

Stuttgart 6 h. Visite rapide. Munich, brasserie Hofbrau où Hitler a fait ses débuts : un tableau flamand de fumée, de rires, d’hommes au coude à coude, ivres, buvant la bière. Avant, à Dachau par le train, sur la voie que parcouraient les wagons de la mort. Personne ne savait où c’était. Un homme de la gare de Munich : Je ne sais pas, je n’y étais pas. Le crématoire, les tombes de cendres – ne pas toucher au gazon. Les baraques, le mur à barbelés, les miradors – on a reconstruit les baraques en dur pour les réfugiés de l’Est : la rue de la Liberté court au milieu.
Train de Venise. W.L.

27 octobre 1959

Venise 10 h. Au cinéma : Le Général della Rovere de Rossellini (il y a des idées qui nous ont déjà servi pour l’Enclos : les graffiti). Téléphoné à Paris. Dante parti pour l’Italie, avec son gosse – dans la famille d’Alessandria.

28 octobre 1959

Pluie, sur la place Saint-Marc l’eau et les passerelles. Et malgré tout, les pigeons et les photos. Et les Allemands qui viennent ici manger leur goulasch et leurs Würstel… Le soir, pour passer de la place à l’horloge, transporté à brouette par un passeur botté.

29 octobre 1959

Saint-Marc complètement inondé – 1 mètre par endroits : les gosses assis sur les chaises, les vieilles levant leur jupe, les brouettes, les photographes en bottes et les pigeons désorientés. On me préparait un « maccheroni alla alolo » (petit réchaud, beurre, crème fromage, saucisson, etc.) et je pensais : « Tu es là, tu manges cela et tu vas mourir douloureusement ». Train de Paris 18 h.

30 octobre 1959

Bernard au bout du fil : il va revoir le Crapaud pour la 4e fois. Quelque chose ne va pas. Je dis que c’est l’acteur. Au Seuil, Chris, Cayrol consternés, paraît-il, et voulant demander une ligne à Michaux. Ce que Bernard ne souhaite pas. Pas de pétition pour la poésie. Je lui dis qu’il n’y a rien d’étonnant dans ce qui arrive au « Gros » : le contraire, le triomphe n’arrive jamais qu’à Edmond Rostand. Je lui dis qu’il aurait mieux valu que Vilar prenne tout le risque en choisissant une grande pièce de Gatti plutôt que le Crapaud – puisque le résultat n’aurait pas été pire…

31 octobre 1959

Le massacre continue : France Observateur, Lettres françaises, l’Huma, le Figaro littéraire – avec des nuances diverses.

1er novembre 1959

Dans « Arts », une interview de Michaux, une destruction de Gatti et une ignominie de M. Périnaud contre Schwarz-Bart, accusé de plagiat.

2 novembre 1959

Dans Match, une demi-page sur le Crapaud : « Vilar et Gatti font voler les têtes et déchaînent la critique ». Plus une photo d’Izis.

4 novembre 1959

Scène de Collin vers midi (je n’étais pas là). Il se répand dans les couloirs en hurlant, entre chez Mille et l’insulte : « Vous ne me saluez pas parce que je suis mal habillé et rasé » etc.  Chabrun et Diwo l’éloignent. Sa haine était dirigée contre Esther Guyot qui avait limogé sa fille employée, il y a quelques mois, à la Documentation. J’arrange l’affaire. Il écrira une lettre d’excuses à Mille.
J.J. à Paris. Cinéma : « La Mort aux trousses » et dîné avec lui. Parlé de Lyon et Valence. Dîné chez Mercier.

5 novembre 1959

Deux lettres de Maufrais – qui est parti vers les Oyaricoulets (pour en revenir « avec Raymond »). Collin : Farran me dit que Thérond et O. Merlin l’ont « assassiné » hier soir dans son bureau. Presque écœurant, dit-il. Déjeuner à la maison avec J.J.
L’histoire de Collin tassée : Hervé a reçu une lettre d’excuses qui l’a touché.

6 novembre 1959

Collin : Rapinat au fil me dit qu’hier au soir, il lui avait fait de la peine (Farran l’avait engueulé devant le Pauwels à qui Collin, un jour, avait allongé une gifle). Cela ne l’empêche pas d’être tout frétillant ce soir. Il me téléphone : il est allé à Jours de France (convoqué par Clerc et Salgues). On lui propose de l’engager à 250. Il est prêt à tenter le saut, me dit-il.

8 novembre 1959

Dante rentré hier soir. Récamier 10 h 30 : débat sur le Crapaud-Buffle – qui tourne un peu court et devient essentiellement un procès contre la critique. Vilar dirige. Gatti dit que Gogol – préface des « Ames mortes » – l’a aidé à tenir le coup. Il compare les critiques à des gardiens de prison. Vu Souvtchinsky, Bernard, Paule, Auclair, Mme Bailly, Mme Ulrich. Deux critiques dans la salle (Lettres françaises, Libération, Morelle qui est bien embêté). Vilar : Dans 5 ans, ils se mordront les doigts. Public : 2 008. Certains soirs, 18 spectateurs payants. Coup de fil de Dante : au travail, dit-il. Il n’a pas lu les autres critiques. Il s’en fout.

9 novembre 1959

Vu Mme Maufrais.

10 novembre 1959

Dîner chez Mme Ulrich avec Dante – puis Sacha Vierny, l’opérateur d’Hiroshima et du film de Resnais sur les camps. Il est très intéressé. Tâche de se rendre libre pour mars. Téléphoné à 11 h 30 à Zagreb à Larry, toujours là-bas pour ‘Austerlitz’ de Gance.

11 novembre 1959

Chez Mme Ulrich : choix du Français fixé sur Marcel Marceau, le mime, qu’on va essayer de contacter (il est en tournée). Déjeuner chez les Marchal avec Beï.

12 novembre 1959

Vu Gatti à P.M. Les photos de Maufrais arrivées. Le film coréen de Dante et Bonnardot demain (je pense au mot de Vierny avant-hier : « Tu as pris une terrible baffe avec le Crapaud – et tu reviens en faisant un film. Les gens vont penser que tu as une fortune personnelle »).

13 novembre 1959

Temps froid, venteux, humide. On installe sur la terrasse les lierres et les bacs. Avec Beï, 3 rue Washington, film sur la Corée, ‘Moranbong’ : des images et pas de film. Vu Mme Ulrich, Dante, Chris, Vierny, etc. Henri Colpi fera le montage de l’Enclos.

14 novembre 1959

Travaillé avec Dante à l’Enclos. Il a vu Vilar tout à l’heure. Vilar a suggéré de monter une seconde pièce de Gatti. Puis Gatti et lui ont réfléchi ensemble, et non ! Mais quand arrêter les représentations, avant ou après les fêtes ? Ils en décideront demain. Vilar avait demandé à Adamov et Pichette de raconter leur expérience avec lui – à l’occasion du C.B. Ils se sont défilés.
Mme Ulrich, me dit Dante, voudrait changer le rôle de David. Il serait trop lâche !

15 novembre 1959

Générale du « Songe d’une nuit d’été » au TNP (Vilar, Maria Casarès). Très bon. Vu les Dante, Chris et Natacha, Domenach, Auclair et sa femme, Mme Tézenas.

16 novembre 1959

Schwarzbart : Prix Goncourt (on le lui a donné en novembre de peur que le Femina le rafle). Dante : L’Enfant-rat sera monté à Vienne. Mme Ulrich veut me voir sans Dante. R.V. au Flore à 19 30. Elle lui avait dit qu’après avoir montré l’Enclos à diverses personnes, elle avait l’impression que le personnage David était, paraissait « lâche » en comparaison M. David. Dante s’en était offusqué. Elle est navrée. Elle a été attentive à cela d’un point de vue personnel (ses parents morts en déportation), et non commercial. D’ailleurs, Vierny pense de même, dit-elle (ce qu’elle me fait jurer de ne pas dire à Dante). R.V. tous ensemble un de ces jours pour vider l’abcès.

17 novembre 1959

Vu « La Verte moisson » de Villiers ce matin. Bon. Gilbert au C.B. hier soir : du monde et 3 rappels ! Sabathier a passé la soirée hier avec Dante. Il en est tout ragaillardi : deux Verseau ! deux génies ! ou plutôt trois : il y ajoute son ami Harlan. Il veut aussi faire une pièce avec Dante.
Dante a vu Mme Ulrich. C’est arrangé.
Envoyé à Libman mon témoignage pour l’affaire Gatti, plaidée demain.

19 novembre 1959

Réception annuelle au Seuil : avec le Goncourt (d’ailleurs pas là), la fin de sa jeunesse. Vu Dante, Bernard et Fulerio Raite, Chris. Dîner avec Scotti, de Cayenne, sa maîtresse russe (de la Tour) et sa fille (Marie, divorcée, un enfant anormal mort-né).

20 novembre 1959

Dante a vu Marlene Dietrich. Suis allé à Boulogne pour le film d’O. Welles (Drame dans un miroir) avec Greco, Dillmann (Zanuck, Fleischer metteur en scène). L’attachée de presse, Odile Grand, me guide dans le labyrinthe, vu Welles, qui me donne rendez-vous pour demain. Il était avec J. Cau de l’Express, un suffisant personnage. Welles, lui, est énorme !!

21 novembre 1959

Revu « Citizen Kane » – qui est sorti sur les Champs-Élysées. Pas une ride. Un grand film. Au retour, vu Levinson. La dernière : ils vont élever un bâtiment de 7 étages. Tant de paysage perdu ! Algarade violente

22 novembre 1959

Coup de fil de J.M. Sabathier. Il a dîné chez Farran avec Croizard. F. a paru hostile à « nos hommes » et à moi « froid et distant ». Il semble fonder ses espoirs sur Haimer, Hanoteau, Merlin, etc. Il y a un malaise – d’ailleurs connu : depuis qu’il est rédacteur en chef, pas un papier ne lui a plu ; il les a tous critiqués. J.M.S. lui a dit qu’il se ferait manger par Thérond (lequel sert de cornac au petit-fils de J.P. : M. de Courtades).

23 novembre 1959

Convoqué par J.P. dans le bureau de G.B. (absent pour 10 jours) avec Mille, Farran, Thérond. J.P. critique les titres, l’équilibre, le rythme du journal ; veut des histoires d’amour et des faits divers.
Avec Dante à 18 h 30, rue Washington : « les Astronautes », film d’animation de Chris Marker et un Polonais. Chris, bien entendu, dit que l’autre a tout fait – et que c’est uniquement pour la nationalité du film qu’il a signé. Dans un article sur le C.B., Chris écrit qu’une légende quichua raconte qu’en entendant le C.B., les critiques voient leur tête s’envoler et écrivent avec leurs pieds.

24 novembre 1959

Par Hertzog, qui a été à Boulogne pour des photos, j’apprends que Wells ne veut absolument rien faire pour Paris-Match. « P.M. go away ! » a-t-il dit au photographe. Comment lui donner tort : j’ai vu le papier, dont il se venge : un article d’Hanoteau il y a un an, le traitant de grosse masse de graisse de 230 livres, etc.
Vu Gatti – et avec lui, Farran – très confus, et embrouillé dans ses indications sur le papier Marlène… TV : magazine du théâtre : Decaunes et Vilar – Crapaud-Buffle.

25 novembre 1959

Dante a signé avec les Cubains. Sa pièce sera montée à La Havane. Il ira.
Gérard Philipe est mort. Dante fait le papier (il lui avait écrit après le Poisson noir – et avait vu le C.B. : il avait chargé Agnès Varda de lui dire qu’il l’avait aimé). Sa dernière sortie : le C.B.
En projection privée, le film « On the Beach » (le Dernier rivage), sur la fin atomique du monde. Un peu long – mais tellement éloquent.

26 novembre 1959

Vu TSP – Raconté l’histoire Col. Valent sans l’avoir réellement voulu. Dit qu’il faut lui faire écrire un livre.
Très fatigué et touché par la mort de Philipe que je ne connaissais pourtant pas. À la maison avec Dante, papier sur lui pour demain. Dans le Times, papier élogieux sur le C.B.
J.M. Sabathier a le diabète. Il est à Collioure. C’est au diabète qu’il devait sa soif perpétuelle. « Etes-vous un buveur ou un soiffeur ? » demandait Gaston…

27 novembre 1959

Couché 6 h. Dante parti.

30 novembre 1959

Dante : Ulrich a vu hier Welles et Barrault. Welles est d’accord pour « le Château ». L’Enclos serait tourné avant, l’an prochain.
Avec Dante, promenade à pied, vers 18 h 30, du journal au Châtelet : parle de l’Enclos (jeu de carte : prédiction, état civil de David).

1er décembre 1959

Hôpital pour gymnastique. Avant-dernière des 15 séances. Au journal, retour de Menant du Sahara (mission Ténéré). Vu dans le bureau de Prouvost Line Renaud – Prouvost veut qu’on lui fasse un grand reportage (elle débute au casino de Paris). Commencé symboliquement le livre.

2 décembre 1959

Anniversaire moins déprimant que les autres – peut-être à cause des résolutions prises. Parlé avec Comert de septembre 39 (à propos d’une émission T.V. hier soir qui montrait des actualités et des hommes, encore étonnés après vingt ans, de l’inaction des troupes françaises). Pour Comert, c’était de la trahison pure et simple, mais généralisée. Il remonte à 1814, 1848, 1871, Dreyfus, 1917, les anneaux d’une même chaîne de trahison bourgeoise (contre le peuple, contre le communisme).
Un gâteau à midi : horriblement mauvais. Erreur de la pâtissière ?
Dîner Ulrich, Dante, Henri Colpi et sa femme. Parlé de l’Enclos. Je mettrai Mme U. en relation avec Derode, directeur de production d’O.W. pour Othello et Drame dans un miroir.

3 décembre 1959

Dernière séance de mécanothérapie, puis chez le Dr Touraine pour les cheveux. Catastrophe à Fréjus ; un barrage, gonflé par les pluies, craque. On parle de centaines de morts. Beï inquiète pour sa sœur et son beau-frère.
Hier, avons demandé à Mille un prêt de 500 000 pour Dante (il veut changer d’appartement).

4 décembre 1959

300 morts au moins à Fréjus. Vu Mille : dit que J.P. n’est pas content de Dante ; a trouvé le papier Philipe sans émotion – bref, que ce n’est pas le moment.

5 décembre 1959

Déménagé avec Gilbert une partie des meubles de Clichy. 16 h rue Richelieu chez Gauclair, réunion du comité de l’AGRF : nous étions trois ! Le président, J.B.D. et moi. Ils me proposent le poste de secrétaire général. Je le refuse tant que JBD n’aura pas obtenu quelque chose de concret – soit la carte de circulation sur Paris. Reçu lettre et récit de Maufrais. Réclame des films.

7 décembre 1959

3e et dernier déménagement. Le vide. Remis la salle à manger à un garde-meuble de Levallois.

8 décembre 1959

Menant furieux et amer : revenu de Fréjus en posture d’accusé. Son papier n’est pas passé. Et cette semaine, Cartier en fera un sur le même sujet. Tout vient en réalité du retard des Informations à réagir sur l’événement – et de leur subordination du texte à l’image (un avion pour les photographes ; la voiture pour Menant : d’où le retard).

9 décembre 1959

Travaillé avec Dante l’aprèms à Clichy à établir la fiche signalétique des personnages de l’Enclos. Puis, dîné avec Dante chez Mme Ulrich où se trouvait son ami Abracha – polonais comme elle. Une figure émaciée admirable. Une vie passionnante (parachutiste en Angleterre, soldat en Israël). Il est partagé en plusieurs : juif, polonais, ancien communiste. Comment arranger tout çà ?

10 décembre 1959

Mort d’un acteur Henri Vidal, 40 ans : c’est une série noire.

12 décembre 1959

Achevé « Les Egarements du cœur et de l’esprit », de Crébillon. Délicieux roman français. Dante, l’aprème. Le scénario toujours.

13 décembre 1959

Au TNP Chaillot, avec Beï : « La Mort de Danton » de Büchner (un Danton parfait, mais un Robespierre (Vilar) lent et trop traditionnel).

15 décembre 1959

Avec Dante au journal, l’Enclos : Xe mouture du scénario.

16 décembre 1959

Avec Dante, l’Enclos.

17 décembre 1959

Football France – Espagne, 4-3. Marche, l’arrière chauve, manque le 1er but de sa vie. Délire.
L’Enclos. Dante. Vu avec Beï « Pickpocket » de Bresson. Très bon mais la salle hostile.

18 décembre 1959

Au Récamier, dernière du C.B., bien joué par Amato, enfin. Puis, chez Michel, réception Gatti : Bernard, les acteurs (Négroni, Beauchamp, Amato), Danielle, Mme Ulrich qui, ensuite, nous amène chez elle. Quitté à 5 h, laissant Amato derrière.

19 décembre 1959

Rentré 5 h. Beï très braquée toute la journée. Notaire Aubron, rue de Rivoli : avec Dante, pour signer l’acte de notoriété qui permet aux Chateauneu d’adopter leur fils. Déjeuner Custine Gatti, puis l’Enclos.

20 décembre 1959

Pluie – mauvaise journée à beaucoup de points de vue. Pluie et pleurs.

21 décembre 1959

Lettre d’Antonio Bandeira, le peintre, de Rio. Il y est retourné et travaille pour le musée de Bahia. Au journal, Dante et l’Enclos.

23 décembre 1959

Je me disperse à essayer de suivre l’actualité : quotidiens, revues, hebdos. Décision prise de limiter la consommation. Arrivée de la belle-famille.

24 décembre 1959

L’Enclos au journal tout l’après-midi. Petit dîner de Noël.

25 décembre 1959

Passé au journal, presque désert. Dîner famille. La dinde aux marrons naturellement. Couché 11 h 30. C’était suffisant.

28 décembre 1959

L’Enclos l’après-midi, puis Match avec Dante. Puis, vu H. Mille qui me demande de revoir le papier de Chabrun sur Piaf (il est gêné par les prostituées qui l’entouraient dans son enfance ; voudrait un grand coup d’encensoir pour aérer). Rentré minuit.

29 décembre 1959

Dante : l’Enclos. Le C.B. va être monté à New York off Broadway, c’est-à-dire à Greenwich Village. Diwo : JP et Mille lui demandent de devenir rédacteur en chef de « Télé pour Vous » qui sera fait avec Hachette, paraît-il. Il acceptera, mais sans enthousiasme, réclamera des garanties (pour revenir à PM éventuellement).

31 décembre 1959

Travaillé Enclos – Dante. Le Seuil m’envoie une bouteille de Cognac pour le nouvel an.