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1960

Pierre Joffroy était son nom de plume. Maurice Weil celui de l’etat civil.
Né en 1922 À Hayange  en Moselle, il monte à Paris en 1945 après être passé par Lyon où il s’était réfugié en 1941, rejoint plus tard par son frère Gilbert .
Entré au Parisien Libéré dès son arrivée dans la capitale il réalise un de ses premiers reportages en s’embarquant sur un « rafiot « chargé de juifs européens  rescapés des massacres nazis.

Ici commence l’histoire des carnets dont certains disparaissent à l’occasion de ce voyage en terre de Palestine en 1947.
Il s’agit d’un petit agenda (un par trimestre) sur lequel il note rendez-vous, rencontres, conversations téléphoniques, lectures, sorties, projets et ceux de ses amis.
Le format n’autorise pas le développement comme encore moins les épanchements (même si on trouve quelques cris du cœur).
Ces carnets pourraient être (sont) comme une gigantesque table des matières d’un livre à venir, un vaste index qui renvoie à autant de pages qui ne sont pas encore écrites.
Au commencement était le verbe. Reste à trouver la suite.
À vous de lire ce projet de « livre total » .
À vous de nous donner des informations complémentaires que la lecture de Ces 20 premières années (1947-1968) vous inspire.
La suite, 1968-1980, puis 1980-2000, paraîtra dans le courant de l’année 2021.
Les carnets n’avaient jamais été lus, ni déchiffrés avant 2008. Ils ont été photocopiés puis déposés à l’IM.C.(Institut Mémoires de l’ Edition Contemporaine) avec les archives de Pierre Joffroy où ils peuvent être consultés.

1er janvier 1960

Grève radio et T.V. depuis Noël. Paris désert. Dante : Thibault reçu premier au concours – et pourtant, aucun de ses patrons dans le jury.
« Moranbong » interdit définitivement. Mort d’Aimé Clariond, acteur. Les Lettres nouvelles, hebdomadaires, cessent de paraître. Cette publication boiteuse n’a pas duré un an.

2 janvier 1960

Cinéma : « le Pigeon », un film italien très drôle. Au journal, vu J.J. porteur de bonnes nouvelles.
Le coureur Fausto Copi mort de maladie à 40 ans.

3 janvier 1960

Dîné chez Michel : Beï, J.J., Bernard, Dante, Lavigne, Giscle et Edmond Tourniez, un acteur.

4 janvier 1960

Mort d’Albert Camus, dans un accident d’auto. Et les gens de parler d’une série noire, la mine funèbre ! (Pour moi, il ne comptait plus : il avait refusé de prendre position sur l’Algérie.)
Antisémitisme : la synagogue de Cologne souillée de croix gammées, puis d’autres villes dans l’Allemagne et le monde, même Paris. Certains journaux ne manquent pas de dire que c’est une provocation communiste – on dirait qu’ils ne savent pas ce qu’est le nazisme. D’autres disent qu’il vaut mieux ne pas en parler, parce que ça activerait la psychose. Parlons-en, au contraire, et tant qu’on peut.

5 janvier 1960

Katia Kaupp prévenue par Roux qu’elle a à disparaître de P.M. Il me le confirme en accusant K.K. de jouer à cache-cache. Je crois bien que je ne pourrai pas la tirer hors de là.

6 janvier 1960

L’épidémie d’antisémitisme continue.
Gaston devait déjeuner rue Custine. C’est finalement Croizard. Rien ne semble aller à P.M.… Farran à recaser, Thérond qui fait une lèche incroyable à A. de Courtades (gendre de J.P.), etc.
Diwo : H. Mille a mis Gatti sur la liste des gens de Télé pour vous (il aura 200 et titulaire). Dante ennuyé, mais il n ‘y a pas à hésiter…

7 janvier 1960

Tournoux, qui est ou était gaulliste, nous dit : « La décision est prise ! De Gaulle veut en finir avec le régime parlementaire, instaurer un régime présidentiel ».
Autre chose : Pinay veut démissionner des finances pour empêcher le « dirigisme » de certains autres ministres.
Détestable atmosphère à P.M. Tout le monde mécontent, pas d’augmentation. Papier de Menant sur le Sahara ne passe pas. Pas de place. Le voilà abattu, navré.

8 janvier 1960

Match. Pris Gaston Bonheur pour l’emmener déjeuner rue Custine. Parlé de P.M. On va changer la disposition des lieux pour intégrer F. ou le noyauter (c’est selon). Je descends au 3e étage. Télé pour vous restera rue Pierre-Charron. Parlé de Thérond et de Courtades (mais les hommes, dit-il, ne sont pas toujours menés par leurs intérêts, mais par leurs passions ; le Courtades ne cherche qu’à déboulonner Danet). Sur la fébrilité actuelle de P.M. (passagère, selon Prouvost, juste pour contrecarrer France-Dimanche). Avec Dante, sur l’Enclos ensuite.

10 janvier 1960

Travaillé papier Jaccoud.

11 janvier 1960

Dante, Chris et Natacha à P.M. : elle fait un papier sur la Russie pour Libé. Elle a besoin de conseils techniques.

12 janvier 1960

Dîner chez Mme Ulrich avec Dante, Bernard, les Larry (la femme est sœur d’Astruc), J.M. Amato, le chouchou, un metteur en scène yougoslave, un producteur helvète Michaël, Beï et moi, et le journaliste italien (Giorgio Bontempi). Bien dîné et bu. Retour à 1 h.

13 janvier 1960

La campagne antisémite : j’ai l’impression que Russes et Occidentaux sont heureux ; l’Allemagne, qui sape la détente, sera en posture inférieure aux conférences .

14 janvier 1960

Pinay, ministre des finances, s’en va.

15 janvier 1960

Travaillé toute la journée avec Dante au journal, l’Enclos.

17 janvier 1960

Neige. Train pour Genève 8 h 17. Lu « Au temps de Benoni », de Fardoulis, prêté par Dante.

18 janvier 1960

Procès Jaccoud : 1 carte pour Géry, et moi. Elle sert pour les deux, illégalement. Vu Madeleine Jacob, Pottecher, JBB, …

19 janvier 1960

2e jour. Comparution des témoins. Linda Band, encore jolie bien qu’un peu sèche. Très objective, loyale. L’autre discutait un peu ou versait une larme quand on lisait ses propres lettres.

20 janvier 1960

Procès Jaccoud. Linda Band, puis Mme Jaccoud qui ment pour innocenter son mari. On parle beaucoup plus de Massu, général du 13 mai, qui a fait des déclarations incendiaires à un journal allemand. (De Gaulle a « déçu » le militaire.) Commencé travail avec une bonne grippe.

21 janvier 1960

Resté à l’hôtel à finir le papier Jaccoud. Papier apprécié, semble-t-il, me dit-on au fil (Menant, Farran).

22 janvier 1960

Gaston me téléphone pour compliments. Veut que je reste encore la semaine prochaine. Je rentre ce soir néanmoins, pour aller avec Beï à la clinique (ses dents). Géry parti à Chamonix faire du ski. Tesseyre, le neveu de Gaston, dîne avec moi et m’accompagne à la gare. Floriot dans le train. Il trouve, à Culoz, une couchette.

23 janvier 1960

Rentré 8 h. Journal : demandé billets pour retourner à Genève demain.

24 janvier 1960

À Alger, d’après les nouvelles de 19 h 15, la guerre civile entre les fascistes et ultras et les policiers et militaires. En allant prendre mon train pour Genève, regardé Paris : très calme.

25 janvier 1960

Genève. Procès.

27 janvier 1960

La campagne contre Match se poursuit dans les journaux genevois. Je réponds par plusieurs lettres (J. de Genève, la Tribune de Genève, la Suisse). Beï à Genève. Dîner le soir Gery et Marlyse Schoeffer (de France-Soir), les Tesseyre et nous.
À Alger, on n’a pas encore liquidé l’insurrection des ultras.

28 janvier 1960

Procès. Jaccoud en mauvaise posture devant les experts. Menant réclame ma signature pour une adresse envoyée à de Gaulle par l’Association des GRF. Je la donne. Challe et Delouvrier partent d’Alger sur l’ordre de de Gaulle. Il semble que l’armée soit très travaillée par les ultras.

29 janvier 1960

Fait l’adresse à de Gaulle, signée par tous – sauf Coquet (par principe, dit-il), Roger Perrier (par anarchisme), et Brigneau (par fascisme). Porté à la poste.
Discours de de Gaulle : très ferme.

30 janvier 1960

Lettre anonyme : des étudiants brûlent P.M. place de Molard.
On a l’impression que, à Alger, l’insurrection se démantibule. Le Dr Lefèvre, un ultra, parle avec des trémolos « de ce nouveau Budapest » et invoque Notre Dame – ce qui est bien dans la tradition franquiste.

31 janvier 1960

Alger ne cède pas encore : Ortiz invite les Algérois autour du « camp retranché », à assister à la messe, à communier sur les barricades. Toujours le St Esprit bénissant la pire réaction fasciste. L’armée semble hésiter. Les syndicats unis avec de Gaulle. Un genevois excité et à demi ivre, dit le garçon, est venu hier soir me réclamer pour me casser la figure. On l’a aiguillé sur la chambre de Géry. Puis, la police est venue.

1er février 1960

Interrogatoire Jaccoud. Il ergote, dispute, tâche de sauver la face.
Fin de l’insurrection à Alger. Ils se sont rendus. Ortiz a fui.
L’après-midi, Beï assiste au procès, après, on parle avec Floriot. Encore une lettre d’engueulade.

2 février 1960

Plaidoirie partie civile (Me Martie) et réquisitoire du Procureur Cornu (ce gros malotru prend à partie « certains journalistes » . Plaidoirie de Dupont-Willemin. Dîner avec Géry à Chambourg (entrecôte aux herbes et tarte au fromage).

3 février 1960

Très beau plaidoyer de Me Nicolet – et à 11 h commencement de Floriot – qui recommence à 15 h et se termine à 19 h 30 ! Très long, trop long mais du grand Floriot. À dîner, altercation avec un Français qui déblatère sur la France, exalte l’Allemagne… Beï folle de rage.

4 février 1960

Dernière audience. Déclaration d’innocence de Jaccoud, dressé devant son fauteuil. 2 h 30 de délibération : coupable. Discussion sur la peine. Il dit : « Je ne suis pas coupable ». Nouvelle délibération : 7 ans de réclusion. Rentré, fait mon papier, téléphoné. Le correspondant du Monde me dit que bien des gens sont convaincus que je suis un Genevois, masqué sous un pseudo ; que seul un Genevois pouvait comprendre aussi bien la ville – et que les «erreurs de fait » ne sont « que du brouillard artificiel ». Fatigue et anxiété : les Assises.

6 février 1960

Au journal, vu Gaston. Coup de fil de Dante : on va commencer les essais d’acteurs (Reggiani ne « vaut pas un sou » ; les producteurs n’en veulent pas, question de J.L. Trintignant – mais maintenant c’est un industriel qui mettrait en outre 35 millions de francs légers dans l’affaire).

7 février 1960

Dante rue Custine. Ensemble, fourbissons une bande dessinée sur le thème d’un brave cow-boy de la montagne, qui sort de l’écran pour intervenir dans la vie.

8 février 1960

Mille besognes m’absorbent : le film, le papier Jaccoud, le procès P.L., la convocation chez le bâtonnier… Menant, très déprimé : il est sur la touche depuis 3 mois. Jean Merlin m’explique que c’est parce que G.B. ne veut pas se fatiguer à lutter contre lui (parce que Menant râle). Je le dis à Menant. On verra.

9 février 1960

Téléphone Stibbe : l’ordonnance rendue en ma faveur.

10 février 1960

Vu Floriot chez lui, avenue Hoche . Le va-et-vient continu. Whisky, sort de sous son classeur les photos de Linda nue. Il doit les montrer à tout le monde. Je sors convaincu de la culpabilité de Jaccoud.

11 février 1960

15 h chez Mme Ulrich où je trouve Dante et Larry en train de « découper ». Emporté le scénario modifié (et bien modifié). À 18 h chez Hérissé, du Conseil de l’ordre, chargé d’instruire ma plainte contre Levinson. Assez désagréable froideur, m’a-t-il semblé. Nouvelle TV chez nous. La 3e.

12 février 1960

Déménagé au 7e, l’étage des cerveaux et des hauts salaires. Avec Larry, rue d’Athènes (histoire de la Deuxième Guerre mondiale) pour voir Olga Wormser. Photos pour l’Enclos.
Avec Dante, Larry, Mme Ulrich et Diaman, Vierny : projection de l’essai dans la scène de l’entrée de l’Enclos, et de la lutte entre les. La Claquette : l’Enclos, Vierny. Ca prend forme mais Diaman n’ira pas : une belle tête, une voix mais pas d’art, et une charpente trop forte.

13 février 1960

La bombe A a explosé à 7 h ce matin. Gros titres. Vu au journal Dante avec Reybaz, qui s’intéresse à son théâtre – et qui va peut-être jouer dans l’Enclos.

14 février 1960

Danielle, Dante et les trois enfants rue Custine. Après déjeuner, jusqu’à 7 h.

15 février 1960

À l’hôpital américain de Neuilly, avec Michaux, Menant, et Collin. Sabathier en pyjama rouge, très en forme malgré diabète et polynévrite.

16 février 1960

Dante a signé sa lettre d’engagement (à 2 000 NF).

17 février 1960

Dîné avec J.J., Lavigne, Mme Aster et Dante chez Toc, vietnamien de la rue du Sommerard. Ensuite viennent E. et Janine Bonnardot que son mari, en pleine dépression à la suite de l’interdiction de « Moranbong » a quittée.

18 février 1960

Croizard me confie qu’il va sans doute se remarier avec une divorcée mère d’un enfant, rencontrée à un dîner il y a un mois. Il en est très amoureux, dit-il.

19 février 1960

Bouclage. Naissance d’un fils à la cour d’Angleterre. Délire de France-Soir : « C’est un garçon » dans des caractères aussi gros que s’il s’agissait de la guerre. Dîner avec Beï et Dante chez David Weil (son père, sa mère, l’écrivain catholique Queffélec, sa femme). Gatti fait un numéro splendide sur la nécessité de la Terreur.

20 février 1960

Mon père rue Custine. À 18 h, au théâtre de Lutèce, lecture du « Poisson noir » réduit de 4 h à 2 h avec discussion. Dans le décor des « Nègres » de Genêt. Raybaz excellent, sa femme et un récitant. Finalement bon. Vu Bernard, les Auclair, Obolensky, K. Kaupp et Toussaint, les Ulrich, qui reparlent de Barrault ( !), Souvt. Jacobs, Chateauneu, Mme Tézenas. Chateauneu m’a fait un Dominici excellent. Il entrera à Télé pour Vous.

23 février 1960

Réunion avec Me Weil chez moi.

24 février 1960

Lu dans les journaux du soir une nouvelle : Dominique Darbois, inculpée, en fuite (elle aurait été agent du FLN avec F. Jeanson et d’autres). Vu Dante chez lui. Surpris quelque chose me concernant.

26 février 1960

Papier J. Moreau (son fils, 10 ans, gît entre vie et mort après un accident de voiture).
Margaret va se marier avec un photographe : grosse agitation à P.M. Par M.C. Pedazzini, j’apprends que V. Franco, qui voulait prendre des photos, s’est fait casser la gueule.

27 février 1960

Vu Dante : il parle de malaise entre nous. C’est vrai. Je lui dis pourquoi. Les mots surpris à travers la porte. Tout est réglé. Amitié solide. Lettre de Maufrais demandant de l’argent pour continuer et rentre.

28 février 1960

Avec Roby, le père, Ariane et Beï, déjeuner chez Michel, puis à Auteuil aux courses par un temps merveilleux.

29 février 1960

Obtenu de Gaston Bonheur 200 000 pour Maufrais. Lui ai écrit.

5 mars 1960

Train pour La Seyne. Passé à Valence : qu’elle est aimable cette ville où Bonaparte s’est tant ennuyé. Famille. Toulon. Pluie.

7 mars 1960

Coup de fil du journal (préparer l’affaire Rapin). Lu les Fables de La Fontaine.

10 mars 1960

Pluie à torrent. Travaillé papier Bill Rapin, assassin.

11 mars 1960

À Toulon. Loué Dauphine pour quelques jours.

16 mars 1960

Lu « Robinson Crusoé ».

18 mars 1960

Enfin une belle journée. À Bandol. Rendu la voiture (300 Km en tout : 20 000 F).

19 mars 1960

Lu « La Guerre des boutons ».

20 mars 1960

Départ pour Paris.

21 mars 1960

Lettre de Maufrais.
Dante : il a été malade – angine. Je le vois rue de la Paix, avec Larry. L’Enfant-rat destiné aux Célestins pour lecture, fait l’objet de réticences : on n’a pas encore osé, paraît-il, le montrer à Gantillon, directeur.

23 mars 1960

Vu Saulnier qui me raconte leur voyage en Nouvelle-Guinée. Il veut en faire un livre. Lui en fait le plan. Krouchtchev à Paris. Vu sur les Champs-Élysées. Drapeaux rouges, mais pas à profusion. Toujours la mesquinerie habituelle.

24 mars 1960

Avec Dante et Larry, projection d’un film : « Les Camps de la mort » (pour l’Enclos). Actualités de l’époque. Passé la soirée à remettre d’aplomb un papier de Sabathier sur J. Vilar. Ennui et irritation.

25 mars 1960

Obtenu de Hervé Mille à P.M. avance de 400 000 F à Dante pour son déménagement (il va s’installer à la Bastille). Théâtre du Tertre : « Œdipe roi » de Sophocle. Vigoureux. Avec A.M. Bacquié. Très beau. Mais personne n’a parlé d’eux.

26 mars 1960

Lu des pièces de Miller, avec une bonne introduction de l’auteur.

27 mars 1960

Avec Beï au Récamier : « la Dernière Bande » de Beckett et « Lettre morte » de Pinget. Décevant tout ça.

28 mars 1960

Procès G. Rapin (M. Bill) au Palais. Il se défend dans une langue châtiée, mais nie obstinément : système logique mais invraisemblable, presque insolent. Des cris, des rumeurs, des « À mort ! »

29 mars 1960

2e journée. Père, mère, ne pleurant pas, maladroits ; Nadine, la maîtresse (hébergée chez les parents) et le « milieu » qui fascinait M. Bill, avec un homme solide, costaud – qui était en fait une femme. Triste.

1er avril 1960

Fait papier Bill. Grande fatigue – pas dormi, les procès m’épuisent nerveusement.

4 avril 1960

Au Lutèce, avec Beï et les Auclair, pour « Les Nègres » de Genêt. Mise en scène superbe. Acteurs excellents.

5 avril 1960

Il y a un an que nous habitons rue Custine.

7 avril 1960

Croizard revenu, marié. Vu, avenue du Maine, l’éditeur d’art Farvens, un anglais roux et barbu qui cherchait un traducteur pour un ouvrage sur Grolbertin. Conversation sur Duchamp (qu’il édite ; il m’a donné le livre).
Vu Dante, qui, ayant déjeuné avec Flamant et Cayrol, m’incite pour la nième fois à me « lancer dans l’arène ». Lui ai dit que je valais mieux que ce que je pouvais écrire. Il n’a pas paru convaincu.

14 avril 1960

Fort d’Ivry : service du cinéma des armées avec Dante et Larry pour visionner des bouts de films d’actualité sur les camps. Peu de bon.

15 avril 1960

L’enfant Peugeot, enlevé il y a deux jours au golf de St-Cloud, retrouvé. La rançon payée (50 millions d’anciens francs).
Vu « À bout de souffle », de Godard (assez bon, mais sans intérêt), et « Soudain l’été dernier » de T. Williams, avec toutes les obsessions dudit. Intéressant, mais pas bon.

16 avril 1960

Beï ramène Anne-Laure. Elle restera quelques jours pendant le déménagement de ses parents. Allé avec Lucien Weill rue de Bercy à l’appartement de Gatti. Aidé un peu, avec le petit Michaux. Mais pas d’électricité jusqu’à mardi et le tuyau de gaz absent.

18 avril 1960

Au journal. Paris désert. Lu de lebel « Sur Marcel Duchamp ». Remarquable.

19 avril 1960

Rendu Anne-Laure à son père : après quatre jours, elle pleurait pour la première fois.

21 avril 1960

Acheté Mountolive de Durrell. Déjeuné avec Géry, Bontempi, Larry et Dante rue du Dragon.
Coup de fil de Larry. Dante à Mme Ulrich, la « Consuline ». Échec dans ses négociations pour le fric de l’Enclos avec Berlin-Ouest, Hambourg. Les Allemands ne veulent pas entendre parler de camps…

22 avril 1960

Avec Dante, Beï, Larry, à l’Elysée Matignon pour la naissance du Centre dramatique du Nord, d’André Reybaz. Resnais venu saluer Dante (jamais vu avant). Revu, après 8 ans, Max Petit, connu à Fort-de-France : il est gros – et me dit que je le suis aussi. Georges Arnaud arrêté pour avoir pris une interview de F. Jeanson (parue dans Paris-Presse) et ne l’avoir pas dénoncé !

23 avril 1960

Relu les épreuves de l’Enfant rat (de Dante) que le Seuil va publier. Corrections… et « le Grand Tchou ». Lettre de Chateauneu, accompagnée d’une dizaine de feuillets : fragments d’un roman à venir. Bon.

24 avril 1960

À la TV : « Nuit et Brouillard » de Resnais, à l’occasion de la journée du déporté. La 7e fois que je le vois.

26 avril 1960

Sabathier revenu. A vu Gaston Bonheur, lui reprochant dieu sait quoi. Gaston répond : « Alors, vous me reprochez de ne plus vouloir être le capitaine d’un bateau dont l’équipage me dégoûte ? »
Dans le courrier des lecteurs, des Allemands protestent contre le journal du petit David : les camps, ça n’existait pas ! C’est un coup monté contre l’Europe unie !

27 avril 1960

Téléphoné à Stibbe : je gagne en appel. Le P.L. sera obligé de payer, en attendant l’arrêt de la Cour de cassation.
Reçu d’un voyageur de Cayenne un rouleau photo (envoyé par Maufrais).
Dante me parle d’un projet de scénario d’après « Les Feux », roman japonais (la guerre aux Philippines).

28 avril 1960

Cinq ans de mariage aujourd’hui. Visite TSP – la dernière. On n’a rien à se dire.

1er mai 1960

Cessé de fumer aujourd’hui. Cherché ma mère à la gare de l’Est.

2 mai 1960

Chessmann exécuté dans la chambre à gaz de St Quentin. Tout le monde en est écœuré. Un assassinat avec 12 ans de préméditation.
Avec Farvens chez Gaston, qui est d’accord pour Autun.

6 mai 1960

Mariage de Margaret et du photographe. C’est tout ce qui intéresse l’univers en ce moment !

8 mai 1960

Revu à la TV « la Bataille du rail ».

10 mai 1960

Avec Beï et Chateauneu dîné à la Coupole, puis « Rio Bravo ».

11 mai 1960

Journal : pétition pour Arnaud toujours détenu (il ne veut pas révéler la « source » de son entretien avec Jeanson, recherché).

12 mai 1960

Mémorial juif : photo avec Tony Saulnier (pour le film). Aprèms : Apollinaire, Luxembourg, Conciergerie, place Dauphine. Décision pour demain.

14 mai 1960

À 18 h gare de Lyon. Là et fin de tout. Chez Mme Ulrich avec son mari, Dante, Larry et Négroni. Parlé de la publicité à annoncer pour le film.

16 mai 1960

Conférence au sommet. Jamais je n’y ai moins pensé. Elle est d’ailleurs déjà près de l’échec. Mort du fils de Prouvost, Jacques, un industriel. F. Giroud, de l’Express, quitte l’Express, dont elle était directrice parce que Servan-Schreiber épouse quelqu’un.

17 mai 1960

Conférence au sommet fichue : Ike ne voulant pas s’excuser auprès de K. de l’incursion de l’avion-espion U-2 dans le ciel russe.

18 mai 1960

Goûté le « vin d’ombre » de Gaston. Un grand « ordinaire » comme dit Penent. Travaillé à la maison au papier de Dante. Conférence de presse de K. : il invective les Allemands (Stalingrad !) et les Ricains. Un spectacle étonnant.

21 mai 1960

La fille de Gaston Bonheur a eu une hémorragie cérébrale.

23 mai 1960

Liberté provisoire refusée à G. Arnaud.
Coup de fil de TSP à propos de l’Express, des démêlés sentimentaux S. Schreiber/Giroud. Elle connaît la fille qui est à l’origine de cette histoire. Très aimable.

24 mai 1960

Arrestation de Eichmann – en prison à Jaffa. Visite au journal de Hautier, retour de Saigon (il y est chargé de cours à la faculté de médecine). Il est question que j’aille en Israël pour Eichmann – puis non. Ce serait trop court d’ici vendredi, mais j’irai pour le procès.

25 mai 1960

Travaillé Dante – et Eichmann – Une curieuse coïncidence.

26 mai 1960

Nouveau stylo, symbolique. Papier Eichmann en train.

30 mai 1960

Question de m’envoyer à Genève pour un procès – mais il aura lieu à l’automne !
Vu Dante. Parlé de Lyon – si possible Planchon le monte bientôt. Dans le Monde, l’entrefilet sur le film passé. Deux papiers dans ce numéro.

31 mai 1960

Mort de Pasternak. Lettre de M. Armorin. Je passerai une lettre dans le courrier des lecteurs.

1er juin 1960

Vu Dante : parlé films. Dîné av. du Maine avec Farvens et son amie. Soirée agréable avec beaucoup de whisky et bourbon.

2 juin 1960

Téléphoné à Stibbe : Ils ont payé ! Un huissier et un commissaire de police au P.L. et le Pt Dr général fou de rage, mais s’inclinant. Travaillé à papier sur Pasternak.

3 juin 1960

Enterrement de Trappe à Bois-Colombes : Thérond, Papeloux, et les petits. Vu Sabathier en plein numéro : sur les fils naturels et le mythe de Phaéton (père, pourquoi m’as-tu abandonné ?). Lettre de Stibbe confirmant mon succès sur le P.L.

4 juin 1960

Avant-hier, un jeune, congédié de 7 Jours, avec 3 autres, a fait intervenir sa femme auprès de Diwo, puis s’est présenté chez lui avec son gosse. Il l’a donné à Jacqueline Michel, suffoquée et a avalé un tube de comprimés ; hôpital. Le voisin de palier, chef de cabinet de Debré, croyait à un attentat FL.N. Il y a du Collin dans cette forme de chantage.

7 juin 1960

G. Bonheur à déjeuner rue Custine, jusqu’à 16 h. Lui ai donné ma démission de chef de service, parlé pour Collin (expédié au Courrier), demandé une augmentation. Parlé littérature. Il va vivre avec sa fille (Il dit qu’il a déjà fait une bêtise avec elle, qu’il voudrait en éviter une autre et la marier à un brave type).

8 juin 1960

Collin calmé. Vu Stibbe chez lui : il croit à la fin de la guerre cette année. Hier, G.B. le disait aussi (l’ayant entendu du directeur de cabinet de de Gaulle). Téléphoné à Corvol, remis de son infarctus du myocarde ; mais faible encore. Lui ai annoncé la nouvelle du chèque P.L.
TSP : Bromberger avait donné à lire un manuscrit sur le 24 janvier à Massu, qui accepte et refuse de le rendre : « Atteinte à la sûreté de l’Etat ». Il va transmettre au gouvernement. Incroyable.

9 juin 1960

Reçu le chèque (de 450) du P.L.

10 juin 1960

Grèves téléphone, poste, etc.

11 juin 1960

Lettre de Calder nous invitant chez lui. Vu « La Comtesse aux pieds nus » de Mankiewicz.

14 juin 1960

Au théâtre des Nations, le Berliner Ensemble dans « Arturo Ui », de Brecht. Formidable, à la lettre. Un grand acteur dans le rôle d’Arturo et la musique, surtout dans la scène du procès. Vu Klein et le petit Michaud.

15 juin 1960

Discours de Gaulle hier, bon. On devrait y arriver, à la fin ! Les Européens, que ne font-ils leur Nuit du 4 août ?

16 juin 1960

Eisenhower n’ira pas au Japon : des émeutes sanglantes hier. La face ?
Prix Armorin, cercle Interallié. Sevry, Labarthe, Helsey, Lemoine, Secrétain, Geulon, mais pas Kessel. 15 candidats. Elu : Veuillot, du « Journal d’Alger », pour un reportage sur Israël. Théâtre des Nations : « La Mère », de Gorki : Brecht, Helen Weigel, admirable.

17 juin 1960

Déjeuner Dante au snack. Puis procès Arnaud. Vu Davidson, Prévost ; déposé témoins : Kessel, JBD, Sartre. Lettre de Lazareff et Lazurick. Une chaleur infernale. Arnaud très ferme sur la torture et le reste. Deux ans avec sursis à 21 h 30. Dernière déclaration d’Arnaud : « Vous pouvez me coller 5 ou 10 ans, ce n’est pas cher pour l’honneur ». Le Dr Lacour (de l’affaire Lacaze) était là – et Prévert.

18 juin 1960

Chez les Belland, rue Galilée, avec Gatti et Beï. Vu Calder, Mme, et Joan Miro – petit homme de type bourgeois catalan avec des bretelles noires avec des feuilles rouges.

20 juin 1960

6 h de train à Autun.
Le FLN a dit oui, selon ce que j’ai appris de Beï au téléphone.

22 juin 1960

La paix en Algérie pour bientôt. Tout le monde l’espère, en rêve.
Mort de Reverdy.
Rentré train 13 h 45.

25 juin 1960

Les plénipotentiaires FLN arrivés à Paris, et enlevés par hélicoptère à Melun. Alger ne bouge pas.

29 juin 1960

Cauchemar : Gilbert et moi dans un K.Z. constitué par un toit ou une gare Saint-Lazare. Cayrol là et un speaker Zitrone. Nous nous évadons par un autobus (de Paris : le 20, de la gare Saint-Lazare).

30 juin 1960

Avec Dante, éditions Seghers, bd Raspail. Vu Piault (qui me commande un « Enclos » (roman film). À voir : 1) si le film se tourne ; 2) si le bouquin rapporte au moins quelque chose, à moi et à Dante.

6 juillet 1960

À 21 h chez Sabathier. Vu sa femme, américaine gracile, et ses « montages » et la photo de lui avec P. Mais il ne pensait qu’au télégramme envoyé par Harlan de Pologne. Vu Michaux, Collin, Croizard et sa femme Cl. Sire (de 7 Jours) et Gaston – qui, en se déplaçant à fait vraiment preuve d’une confondante gentillesse. S. aux anges. Un invité d’honneur, Américain de Rome. Rentré à 23 h avec Michaux et Collin dans la voiture américaine du Michaux.

7 juillet 1960

Matias, croisé dans le couloir, me dit que JPM aurait été compromis dans une attaque à main armée. Je lui ai dit que je n’en croyais rien.
Dîner chez Dante avec Beï. Première visite officielle dans le nouvel appartement. Chris (en train de monter son film sur Israël), la femme du jeune Michaud, et G. Garran, un metteur en scène.

12 juillet 1960

Atmosphère de guerre : les Russes abattent un second avion américain au-dessus de chez eux , le Congo, Cuba et un fou, là-dessus, qui prophétise la fin du monde pour le 14 juillet.
Visite de Chris, à qui je rends le dossier chats et à qui je remets les revues de courrier de P.M. Je lui donne les coordonnées de Véra N. qu’il m’avait demandé de retrouver à Hayange (elle était à la Red Cross lorsqu’il était GI à Thionville).

13 juillet 1960

Gaston : JP décide de procéder à des changements (France Dimanche l’affole). Il faut lutter sur le plan « dolce vita », les femmes, etc. À la rentrée, JF sera remis dans les papiers ; je m’occuperai un peu plus des textes…

14 juillet 1960

Hier aprèms, chez la Consuline avec Dante, Larry, Michaud et l’opérateur Julliard. On partira pour Ljubljana la semaine prochaine.
Vu la revue en passant. Peu d’enthousiasme. Tous les cris pour les « paras ». Les soldats professionnels, voilà ce qu’ils aiment.

18 juillet 1960

Reçu de Bandeira le catalogue de son exposition à Rio.
Coup de fil de Mme Ulrich : départ mercredi. Je décline le voyage : Beï, la piote, la fatigue, les affaires de la rue Custine, Farvens, le journal. Je prête la voiture à Larry.
Tout le monde au journal parle de guerre, parce que le Congo a fait appel aux Russes par dessus l’ONU. Non.

19 juillet 1960

Déjeuner Dante, Larry et moi au marché Saint-Honoré, Mme U., en pleine expansion – et qui parle d’une maison à Senlis, un phalanstère. Echange de voitures. Je touche la 2 CV de Larry. Farvens téléphone : G. ne viendra qu’en août – à Dijon pour les corrections.

20 juillet 1960

Visite à PM de M. Joffroy de Maastricht, un Hollandais qui a cru que j’étais son cousin. Il est très aimable et m’a laissé un poème.

22 juillet 1960

Revu papiers Marie Besnard pour Henriette Chandet (enquêtrice à PM).

26 juillet 1960

Croizard me dit que Collin, ayant R.V. avec sa femme au Victoria, se bat avec elle, lance un coup de poing à une bonne femme qui s’interposait, se fait rosser par les hommes, envoie Croizard négocier pour que la femme ne porte pas plainte, etc.,

27 juillet 1960

Carte de Dante de Ljubiana. Tout va bien, dit-il. Téléphone Chambon. Seulement un peu mélancolique sur la fin.

28 juillet 1960

Papier à faire sur la peine de mort. Lu « Tu ne tueras point » : profondément impressionnant.

30 juillet 1960

Coup de fil de Julliard (opérateur du film, retour de Yougoslavie).

31 juillet 1960

Coup de fil de Mme Ulrich : tout va bien aussi. Dante revient mardi avec Larry, mais repartira presque aussitôt. Elle a vu Antonioni à Milan, qui pourrait tourner le Château.

2 août 1960

Papier sur la peine de mort – beaucoup l’approuvent.

3 août 1960

Chez Mme U. Ils sont rentrés, satisfaits. Déjeuner place du Marché avec Larry, Dante et Michaux. Repris la voiture qui a fait 5 000 Km. (J’en avais fait 3 500.)
L’Enclos a sa cote. Hanoteau me dit que E. Morin lui en a dit grand bien (lequel Morin est membre de la commission Queffélec).

4 août 1960

Lettres d’engueulade sur la peine de mort (mais Chris et F.R. Bastide me félicitent)

6 août 1960

Chez Mme U. Vu Dante, Larry, Julliard. Avant, Dante obtient de Diwo et Mille la permission de rester deux mois en Yougoslavie. Vu Gaston, pas affecté par la baisse de PM en juin. Mais il faut faire autre chose : les « elles » et « eux » trop vulgaires ; le ton du reste trop glacé.

7 août 1960

Parti en voiture pour le Jura. Beau temps. Déjeuner à Louhans. Arrivé à 15 h. Farvens dormait. Le château de Boissia, un nid de corbeaux disloqué, encombré de bric à brac, de pierres, etc. Et la pluie. Enrhumé de surcroît. Little cup of tea. Whisky en masse (un lit, une chambre minuscule dans la partie XVIIIe ou XVIe ?) avec une bouillotte, un radiateur, une bougie en cas de panne, une lampe de poche et une couverture chauffante. Je lis ici les œuvres de W. Blake dans le texte. C’est bien tout ce qu’il y a à faire.

8 août 1960

Allé à Clairvaux.

9 août 1960

Arrivée de la Beaulieu : ¾ d’heure d’entretien, puis les autres. Allé au château de Merona, belle demeure où réside toute une famille de hobereaux paysans, le père, le fils, la fille, les petits-enfants. Ils se livrent à l’élevage des moutons.

10 août 1960

Très déprimé. L’aprèms, au soleil, sur la pelouse, travaillé avec G. au livre. Fièvre. Le Dr Ginel, ami de Farvens venu. Dîner d’agnostiques. Une laryngite aiguë.

11 août 1960

Encore un peu de fièvre. Travaillé merveilleusement au livre avec J. Départ l’aprèms. C’est Farvens qui conduit l’ID. Il a exigé de venir parce qu’il est inquiet de mon état. On arrive au château de Farvens où se trouve la famille du Pr. Larnecki, un des auteurs du livre.

13 août 1960

Journal : gros courrier sur la peine de mort. Lettre d’Alain Jouffroy avec compliments. Tél. de Danielle.

14 août 1960

Coup de fil de Mme Ulrich : ça accroche entre Gatti, Larry et elle. Elle ne voulait pas commencer le film avant le 1er septembre (parce qu’en août tous ses parents sont morts). Eux ont essayé de lui forcer la main. Elle a dit qu’elle quittait tout dans ce cas. De plus, l’engagement du jeune Michaud comme assistant ne lui convient pas : cela fera 500 000 alors qu’il y a déjà énormément de dépenses.

18 août 1960

Dîné avec Bernard chez Danielle. Dante a téléphoné pendant mon absence de Ljubjana : il veut le scénario (du conseiller).

20 août 1960

Le bon Sabathier l’Évêque me téléphone sans cesse. Thomas Harlan doit venir enfin de Pologne. À 11 h chez la Consuline. Intervenu pour Michaud : ça marchera. Emporte bouteilles et cigarettes à emmener en Yougoslavie.

21 août 1960

Les Russes ramènent à terre leur vaisseau cosmique de 4 500 kg avec 2 chiens à bord.

22 août 1960

Coup de fil à Ljubjana : Dante très emporté contre Mme Ulrich qu’il accuse d’incompétence, de sottise, etc. Ça s’arrangera.

24 août 1960

Coup de fil de Sabathier : Harlan est chez lui. Il me le passe : allusion au passé. Compliments pour l’article Eichmann.

25 août 1960

Vu Harlan : pas trop changé, sauf les cheveux gris de côté. Parlé du ghetto de Varsovie, des criminels de guerre en liberté : il a des détails stupéfiants là-dessus.

27 août 1960

Départ pour Ljubjana, pris à Asnières Obolensky. L’après-midi, le Struthof, avec un guide exact, convaincu mais irrésistible de comique. L’Alcazar de Romorentin – une odeur de cadavre, d’injection, d’infection dans le bloc cellulaire, le crématoire.

28 août 1960

Pont de Kehl. L’Allemagne du Sud.Autostrade de Munich, puis Salzbourg.

29 août 1960

Mauthausen, forteresse au-dessus du Danube. Impression de chagrin et de souffrance perdus. À l’entrée de la ville, un magasin Kafka. A 18 h, à Klagenfurt, dormi après des passage de col infernaux, rigoles, etc.

30 août 1960

A Ljubjana à 11 h. Vu Dante, Danielle et mon filleul, Larry, Mme U., Michaud, les acteurs Négroni, Wochinz, et Blech. Atmosphère orageuse. Banquet 40 couverts.

1er septembre 1960

Après un incident burlesque avec le concierge me réclamant mon passeport, bonne nuit. À 10 h 30, dans une carrière à 20 Km de la ville, pour les extérieurs. Générique. Chute de pierres. On attendait un nuage. Sandwich à midi. 3 plans faits. Dîner au Tourist. Séance de travail chez la Consuline avec les mêmes, plus Larry. Lecture des « Fleurs du mal » – chaque soir par hygiène.

2 septembre 1960

Pas allé ce matin à la carrière. Au marché, lavé voiture. L’aprèms, emmené Sabine Larry, ses 2 gosses, La femme de Boulier, l’assistant de Julliard. En haut de la carrière, scène de bataille entre deux déportés avec Herbert Wochinz en SS. Très bon, avec la perspective de la carrière où travaillent les figurants.
Le soir, chez Ulrich, plus Javochett, poète slovène.

3 septembre 1960

Décidé hier que nous partirions seuls à Venise, Mme U. et moi. A midi, descendu à Vreniadia ( ?) pour déjeuner dans une auberge (les autres mangent sur le terrain). Le soir, projection.

4 septembre 1960

Parti à 8 h avec Mme U. pour Venise. Arrêt à la douane (complications pour l’appareil photo, pas là, la voiture Ulrich pas là, etc.). Lido, hôtel des Bains. Des heures à poireauter dans le hall de l’Excelsior, foire aux vedettes, tourbillon de futilités et d’extravagances. Dîner à l’hôtel des Bains, sinistre local, funèbre, affreux de convenance. Mme U. : « Je vous le dis, Joffroy, l’homme n’est pas bon ». Très pessimiste ! Il n’y a rien, dit-elle, et je le savais depuis vingt ans.

5 septembre 1960

À Venise, achats. Il pleuvait. Je me rappelais avec qui aussi quitté le sinistre hôtel des Bains pour le Dardanelles. Vu le film de Cayatte à la salle de projections de la presse, « le Passage du Rhin », mauvais. Dîner avec les Diwo et Mme U. à Venise, après avoir frété un taxi chriscraft. Retour à 2 h du matin avec un vaporetto très lent, omnibus, par le Grand Canal désert et superbe.

7 septembre 1960

Gatti : « Moteur ! Action ! ». Studio, scène de la prison, de la Schreibstube. Temps trop mauvais pour la carrière.
Blech marchant dans sa chambre (on l’entend) sans doute pour apprendre son texte. Quatre journalistes viendront demain : la voiture de la production envoyée à Venise. Durckheim (Cinémonde), J. Fabre (Libé), Lachize (l’Huma), Cynthia Grenier (journaux américains ( ?). Suis nommé chef de publicité (4 000).

8 septembre 1960

Pluie. Fatigue. Histoires : Obolensky pas content des 3 000 dinars qu’on lui donne (on lui avait dit 4 000) ; Mme U. mécontente du triangle rouge apposé sur la poitrine de David-Negroni (il n’est pas politique), proteste. Dante fait un éclat. Elle quitte le plateau et menace d’arrêter le film. Va et vient de Fargier et moi pour arranger. J’y réussis enfin. Mais il y en aura d’autres.
Arrivée des journalistes : Durckheim, J. Fabre et Lachize. Dîner au Bellevue avec Mme U., eux, Dante, les Yougoslaves et le metteur en scène du 9e cercle.

9 septembre 1960

Soleil. Avec les journalistes, Beï, Sabine Larry et les enfants à la carrière. Puis, déjeuner avec eux dans une auberge. Sabine, que Mme U. déteste pour sa « fausse simplicité » dit-elle, est énervée. Parlé à Obolensky qui boude. Raccommodé.
Vu les épreuves ce soir. Excellent. Dîner journalistes français et yougoslaves.

10 septembre 1960

Beau temps. Conduit J. Fabre au train. Carrière : plan du rat. Gatti, buvant au goulot, avale une guêpe. Il est piqué à la lèvre qui enfle. On lui met de l’alcool, de l’oignon. Tatiana, sœur de Lubo, dit : « Avec cela, vous ne pourrez plus baiser avant une heure ». Dîner avec Nicolas.

11 septembre 1960

Musée de la Résistance, près de Bellevue, dans le parc Tivoli, photos de , proclamations, armes, etc. Très beau. Déjeuner à Bled sous une tonnelle (50 Km de Ljubjana). Fait ensuite le tour avec Obolensky et Beï, à pied (7 à 8 Km). La résidence de Tito. Sur la route, le garçon qui disait à l’autre qu’il ne fallait pas nous le dire.

12 septembre 1960

M. Ulrich est arrivé. Projection des rushes pour lui. Vu Nicolas sur un bout de film. L’aprèms au studio. Promenade dans la ville, la rue aux Juifs, les quais avec leurs marronniers et leurs saules pleureurs.

13 septembre 1960

Extérieurs à Zale, le cimetière. Baraques, scènes de Herbert avec la fille, une Serbe, Tamara. Déjeuner au Bellevue. On nous empêche de remonter en voiture. Des flics, remue-ménage. Un homme entre sur la terrasse où nous venions de déjeuner : c’est Tito – suivi de quelques commensaux. Ils mangent à trois pas de nous. Le maréchal est bronzé et bavard. Dîner le soir avec Obo, le coiffeur Bouban et un Yougoslave rescapé de Buchenwald.

14 septembre 1960

Coups à la porte à 4 h du matin : le portier maléfique et galonné m’informe qu’on a brisé une vitre de la voiture. Je descends, on a volé l’imperméable, une paire de lunettes noires… Police, assurances (j’étais assuré d’hier).
Extérieurs à Zale. Projection le soir. Tout bien – sauf retard de quelques jours et un ou deux plans voilés hier.

15 septembre 1960

Réparation de la glace – avec du plexiglas. Revu Durckheim, qui a escaladé la Triglav et écrit « L’Enclos » au sommet. Le soir, à partir de 20 h, extérieurs à Zale. Projecteurs, moteurs, peuple. Mais le froid et l’humidité dissipaient vite les rangs. Des figurants déportés dorment, assis comme dans un camp, sous la même couverture rabattue. Nicolas joue un Lagerschutz, transi de froid. Colère de Julliard contre les Yougo à cause du matériel.

16 septembre 1960

Fait réparer serrure voiture. Déjeuner Bellevue, avec Lubo, frère de Tatiana. Projection, promenade. Dîner avec Négroni, puis, avec lui, extérieurs à Zale, perdu dans le brouillard. Mme U. s’inquiète des retards. Une fois de plus, Nicolas joue dans un plan et mange à la table des artistes. Dante a chaussé un nouveau chapeau, à la Robin des Bois, à la Freischutz.

17 septembre 1960

Pluie. M. U. repart pour Paris. Mme U. me confie ses ennuis financiers : le devis est largement dépassé. Elle en veut à Larry. Fait inviter Obolensky à un dîner chez Mme U. (il se plaignait de n’y être pas allé encore : « Je ne sais pas ce que tu as pu raconter à Mme U., mais je ne suis jamais invité »).

18 septembre 1960

Pluie toute la matinée et la nuit. Avec Obo et Michaud, visite des musées : le Narodne (primitifs et XIXe siècle hilarant) et l’ethnologique avec d’admirables objets, instruments de travail, peintures et sculptures populaires slovènes. Déjeuner avec les mêmes, puis chez des Yougos amis d’Obo après le déjeuner. Retour avec Beï par le parc Tivoli, superbe dans l’automne. Dîner le soir avec Michaux et le script Dubouillon, dit 15 grammes.
Blech, grippé, n’a pu faire la répétition décidée pour aujourd’hui. Les ennuis continuent.

19 septembre 1960

Pluie. Blech, encore malade, ne tourne pas. Pas d’extérieurs non plus. Bu avec Dante, Lary, Michaux en l’honneur de Monaco, en tête du championnat. L’aprèms au studio, vu le film , « Akcija » de Jane Kavek, le metteur en scène yougo adjoint de Gatti. Bon. Puis au café « Salon » tandis que la pluie continue

20 septembre 1960

Pluie. Blech toujours indisponible. Départ de la famille Lary et les enfants. Mme U. me dit : « Plus de Michaux ! Davantage de Kavcic ! demandent les Yougoslaves ».
Zale : plan Négroni refait (le long baraques) puis le soir. Nous, on dînait chez Mme U. avec les Wochinz, Négroni, Hribar. Obo, enfin invité, tournait.

21 septembre 1960

O n’a pas été au château. Son trèfle à 4 feuilles, il l’avait offert à Dante. Travaillé presse avec Hribar. En allant chercher Wochinz à l’hôtel pour le conduire à la gare, vu Obolensky devant le Turist, un téléphone à la main. « J’ai des mauvaises nouvelles de ma mère… » Sa mère à l’hôpital, une tumeur à la jambe : opération demain. Je le conduis à la gare, sous la pluie.
Studio : premiers plans de l’enclos avec Blech et Négroni. Julliard, grippé et nerveux. Dîné au Bellevue avec Dante, Negro, Lary et Michaux. Il repartira avec moi, sacrifié à la colère de Slava. N. amoureux d’une serveuse, trainaille à l’hôtel pour l’escorter éventuellement.

22 septembre 1960

Travaillé bureau Triglav. Sieste. Avec Igor, dans la campagne à 20 Km où nous avons acheté 3 litres de Slivovka.
Studio : Mme U. fait scandale parce que la monteuse n’a pas de salle où travailler. La grève des producteurs ! Puis, panne d’électricité. Vu les rushes, les premiers de l’Enclos. Excellent.

23 septembre 1960

Soleil, enfin. Encore l’Enclos. Sérénité générale. Le plan de travail respecté. Cette nuit et demain, Dante travaille avec Mme U. au « Château » – pour fournir à Antonioni la « clé » dont il a besoin pour tourner (mais il a déjà refusé). Automne.

24 septembre 1960

L’Enclos toujours. Scène plus longue sur les « morts » de David. Je m’y retrouve un peu. Projection excitante. Demain, je vais chercher Chris Marker à Zagreb.
Travaillé le soir au Château avec Dante et Mme U.

25 septembre 1960

Couché 4 h du matin. Levé 10 h. Avec Mme U. et Dante, Zagreb à 138 km pour prendre Chris. Déjeuner à l’aéroport. Promenade dans Zagreb. Retour. Dîner.

26 septembre 1960

Avec Chris à Zale : on y refait les scènes voilées – avec Tamara Miletitch. Parlé à Chris du montage. Réticent – mais intéressé. Il a fait des achats : insigne de shérif, roman-feuilleton, disques. Négroni est allé à Bellevue faire sa cour à la petite serveuse brune, 17 ans. Elle lui a dit qu’elle était amoureuse de lui, depuis qu’il est entré un jour avec ses deux chiens.

27 septembre 1960

Lever 6 h. Turist . En principe, on devait aller sur la côte : Mme U., Gatti, Tatiana, Ljubo, Minko, Chris et moi. On part à 10 h à 4, avec U., Chris, Minko. La plaine inondée. Visite de la chapelle fortifiée de Hrastovlje, pleine de fresques délicieuses, découvertes il y a 5 ou 6 ans. Puis Koper (Capo d’Istria), avec sa Piazzetta vénitienne, Piran et son port.

28 septembre 1960

Dante fatigué de ne plus dormir ni manger – Comprimés, Fernet-Branca. Cette nuit, le tournage interrompu par la pluie. Wochinz fâché de ne pas voir assez son nom dans la docu. L’ai consolé. Blech nerveux sur le plateau. Dante, engueulant le maquilleur. Chris a vu tous les rushes. Il admire Blech, mais trouve que la photo fait vieux, périmé.

29 septembre 1960

Dernière journée. Déjeuné avec Chris qui reprend ses critiques d’hier : Dante trahi par les professionnels – un film pas assez fin – mais qui peut avoir du succès.

30 septembre 1960

Départ 6 h avec Michaud (Pompon) à Turin.

3 octobre 1960

Au journal, reprise. Masse de journaux et de livres. Lettre de Calder m’invitant à une représentation le 1er octobre à Saché… hélas. L’écriture « en flèche » à P.M. : la concurrence de la T.V. aboutit à un effort sur le texte.
L’Algérie : alourdissement du climat. Condamnation du « réseau Jeanson », lettre de Sartre, manifeste des 121, sanctions, arrestations. Visite d’un mythomane amené par Michaud, qui l’a rencontré dans une librairie – et que j’envoie à M. Ulrich (pour la publicité du film). Il se moque de moi.

4 octobre 1960

Mille a mis Dante en congé sans solde : pas de fric d’ici novembre.

5 octobre 1960

Vu Danielle avec ses 3 enfants (dont Stéphane qui marche avec des béquilles : une jambe cassée en Italie) et les 2 Otero – venus pour un an en France.
Appris que Dante avait signé les 121, mais s’était repris – ce qui paraît étrange de sa part (Bernard le lui aurait conseillé).

6 octobre 1960

Sabathier au fil depuis Langon : il m ‘assure qu’il est devenu adulte pendant mon absence. Son père est mort, celui qui ne l’avait pas reconnu. Une ombre, dit-il, a cessé de peser sur lui. Et puis, il a vu Bertrand Russel, et le duc de Bedford…
J.P. Michaud a eu une histoire : une fille précipitée hors de sa voiture, des flics insultés, arrestation, etc. Dîné rue de la Cavalerie avec les Farvens et leurs amis, un peintre nommé Middleton et sa femme.

7 octobre 1960

O. Merlin et d’autres se disent inquiets : l’atmosphère en France rappelle l’affaire Dreyfus. De fait, on assiste, autour de l’Algérie, à la congélation des deux fractions de l’opinion, prélude général, quoique non certain, à toute guerre civile.
Replanté avec Rapinat le lierre acheté à la Celle-Saint-Cloud. Dîné chez Danielle avec Beï et Ariane. Il y avait les Auclair et les Otero avec leurs 3 enfants : lui n’a pas changé. Toujours aussi souriant et doux. Parlé de l’Algérie, de l’Appel des 121 (dont Auclair est signataire).

8 octobre 1960

Les 121 : position communiste hostile (pas d’insoumission). Ostentation – inutilité.

9 octobre 1960

Bernard à 17 h, puis à dîner. Il est un peu mieux. Use toujours de la chose – mais nie encore (faiblement) que son travail y soit lié. Parlé de l’Algérie – les 121 : Boulez a signé. « Je suis le seul musicien », a-t-il dit à Souvt. Là-dessus, Leibowitz signe – m’approuve de ne pas signer maintenant – de la peinture : il déteste Karl Flinker qui tient une galerie rue du Bac et qui l’a pris avec lui : tout le mic-mac fric du Karl l’écœure. Inquiet de la peinture : « Les peintres en savent de moins en moins ». Il s’intéresse de plus en plus aux mystiques orientales « je deviens cabotin ». Se laisse faire par la haine du monde (un peu ce qui se passe pour moi, et contre quoi je lutte). À la fin, tous sur le tapis en train d’essayer de tenir la position du lotus…

11 octobre 1960

Fait circuler une pétition pour la libération de R. Bénat, l’un des 121 et le seul arrêté. 30 signatures.

12 octobre 1960

Dans Cinémonde, au milieu d’une avalanche de « nymphettes », un articulet de Durkheim sur le film. Vu Chris au journal. Toujours soucieux pour la photo « Julliard Harcourt ». Va partir pour Cuba, dès qu’il aura achevé de monter son « Israël ». Fera peut-être le Crapaud-Buffle en film et le Château. Pense à Louis Malle – mais pas à Chris.

13 octobre 1960

A l’ONU, Krouchtchev de plus en plus violent – et surtout angoissé : le désarmement, les bombes atomiques. Il brandit son soulier et en tape son pupitre. Un cri qu’on n’entend pas.

14 octobre 1960

Vu Gaston. Parlé du journal et d’une augmentation. Diwo fête le succès de 7 jours qui dépasse cette semaine ses concurrents. À dîner, Freixas qui s’enivre et parle : un homme ordinaire, mais qui ne changera jamais avec ses préjugés et ses rancunes.

17 octobre 1960

Coup de fil de Ljubjana. Mme Ulrich, Lary et Dante, tous optimistes : ils auront fini la semaine prochaine. Vu Gaston avec Chateauneu. Il le charge de faire des papiers « elle et lui » à la pige, jusqu’à intégration.

20 octobre 1960

Fait papier crime Michelin (un demeuré de la famille qui tue sa femme).

22 octobre 1960

Avec Beï, Saucet et Lempereur à Giverny (papier Monet). Vu la maison déserte, le bassin aux nymphéas, le grand atelier. L’aprèms, avec Saucet et Beï, à Sorel-Moussel, où habitent le fils Michel Monet – 82 ans – et sa femme. Des tableaux – et l’œuvre du fils : ses chasses en Afrique. Un regard de détresse : l’aveu d’une vie détournée de son sens par la présence du père.

24 octobre 1960

Ambassade d’Israël pour voir Catarivas, chargé de presse (Eichmann). J’écrirai à Pearlmann. Lettre de Maufrais et photos.

25 octobre 1960

Chez Jenny Grand, du NY Herald, rue Daubigny pour lui remettre un cadeau de Mme U. À 17 h, conférence de presse au mémorial juif de Joël Brand sur Eichmann. Il dit que le gouvernement d’Israël savait depuis 57 que Eichmann était en Argentine.

30 octobre 1960

Travaillé papier Monet.

31 octobre 1960

Papier dans PM sur St John Perse, prix Nobel. Une des rares bonnes choses de l’année.

2 novembre 1960

Film de Chris à Publicis : 5 à 6 personnes, dont Michaud et la Pomponette. « Description d’un combat » est un chef-d’œuvre du documentaire. Je le lui dis. Sorti bouleversé, surtout par l’épisode des bateaux clandestins.
Déjeuné avec Gaston au restaurant basque. Parlé de la situation, angoissé par l’Algérie et la possible guerre civile ; me dit que Mauriac au téléphone lui a dit avoir reçu une lettre d’un colonel l’avertissant qu’il est en tête de la liste des fusillés.

4 novembre 1960

Le bruit court vers 14 h que Krouchtchev est renversé par Malenkov et le groupe anti parti… L’Occident doit prendre ses désirs pour des réalités…
Discours de Gaulle à la T.V. : rien.

5 novembre 1960

Visite de K. Kaupp pour interview film.

7 novembre 1960

Avec Beï, vu « Mein Kampf » en projection privée, suite de vues d’actualités. Intéressant : la fascination hitlérienne, lui vu de près, les fous Goebbels, Hess, les vues du ghetto épouvantables, irréfutables.
Dante pas encore rentré.

9 novembre 1960

Kennedy élu.
Chez Guipel à Neuilly, l’auteur des bâtisseurs de cathédrales, pour détails sur Autun. Type curieux, très anti art moderne (il n’enlève pas ses cadres abstraits seulement parce que ça ferait des blancs derrière…)

10 novembre 1960

Lu « La Route des Flandres » de Cl. Simon. Un contretype presque parfait de Faulkner. Parlé avec Dubois. « Maintenant que de Gaulle est en avance sur moi (Algérie), il faut que je me dépêche de le rattraper ». Parle de Boulez qu’il voudrait voir. Tout le monde s’attend à quelque chose sur l’Algérie. Algérie : manifestation demain ? En tout cas, ça avance

11 novembre 1960

Au journal, peu de monde, manifestations à Alger. Coup d’État à Saigon.
Chez Danielle, personne – mais je rencontre Bernard qui vient dîner. Les « 121 » ont reçu avis de découcher.

14 novembre 1960

Retour de Dante, col ouvert et voix de rogomme. Deux projets : le Château et un film pour les Yougoslaves. Été avec T.T. en Macédoine, une histoire très romantique. « Tsin che Houang Ti », dit-il pour expliquer comment il faut se conduire quand on a un film à diriger (allusion à l’insupportable Julliard).

15 novembre 1960

Josette, la bonne des Gilbert, ne se réveille pas, puis entre en transes : démence. Infirmerie spéciale. Papa alité : bronchite. Voiture fermée avec les clés à l’intérieur : corrida, etc., etc .

16 novembre 1960

Lary m’a fait envoyer, à propos de « conseiller », un projet de film avec la Sefic.

17 novembre 1960

Avec Dante et Danielle à Saint-Cloud pour l’Enclos. Première projection continue pour moi (1er montage, mais sans bruit ni musique). Vu Mme U., Lary, Ivanel,
Refusons de concert le film avec la Sefic Lary (à cause du Château).

18 novembre 1960

Lettre de M. Pearlmann répondant à la mienne. Il écrit un livre sur Eichmann, mais ne peut pas m’aider. Avec Beï, « L’Aventura » d’Antonioni. Très beau film.

20 novembre 1960

Tél. de Saby qui se dit inquiet à propos de Dante (son « despotisme » nouveau, sa décision de faire seul le montage, sans Chris, etc. Comme Boulez, il veut être le fils de ses œuvres).

23 novembre 1960

Vu Dante, un peu déprimé par le montage : « Ca redouble. Il faudrait un fric fou pour avoir les salles assez longtemps ».

24 novembre 1960

Vu « Nazarin » de Bunuel. Splendide (le merveilleux avorton). Papier cathédrale d’Autun fini.

25 novembre 1960

Vu, pour un papier, « La Vérité » de Clouzot avec B. Bardot. On en fait grand cas. Un film vulgaire et insignifiant. Papier Autun approuvé de Gaston.

28 novembre 1960

Vu Dante, très calme et confiant, assis par terre à côté de mon fauteuil au journal, Chris supervise, la monteuse liquidée. Il travaille à une pièce : Chronique d’une autre planète (sur les juifs hongrois). Mais hésite entre le burlesque et les noms d’emprunt – ou les moins réels (Juifs, Himmler, etc.) tous chargés d’un potentiel.
Chez La Rochefoucauld, rue de la Pompe, dîner de sortie du livre et de l’expo (visitée avec Beï un peu avant). Présents : Grivot, en pleine forme (le chanoine qui leur était hostile est mort aujourd’hui), Zanecker, Julie et quelques autres. J’interprète des prénoms et je vomis : voilà ma source.

29 novembre 1960

Lettre de P. Dubuisson : Merci, signée d’Andrée Dubuisson. Avec Saucet, à l’expo. René Guivot, Zanecker, Moronnot, Farvens, La Rochefoucauld et sa femme.

30 novembre 1960

Chez Mme U., dîner avec Dante, Nicolas, Braun, Koch (le petit gros slovène) et la Maréchale (nouvelle secrétaire organisatrice de Mme U.).
Mort de Richard Wright et de Altman.

1er décembre 1960

Grosse bagarre autour du dernier Prix Goncourt, Vintila Horia – un nazi frénétique à ce qu’il paraît. Et, en plus, un livre mauvais.

2 décembre 1960

38 ans ! Mme Blanchet analyse mon comportement : je suis froid, peu raffiné, l’air d’un méchant. Il faudrait que je fasse, dit-elle, un effort pour me montrer comme je suis en réalité.

5 décembre 1960

Au Palais de Justice, tribunal militaire, procès des barricades. J’arrive en plein boom : Lagaillarde et 4 co-inculpés sont en fuite. Les généraux et colonels l’avaient mis en liberté provisoire ! Quelque chose se prépare à Alger : de Gaulle y sera vendredi.

7 décembre 1960

2e audience : l’avocat de Lagaillarde, insulté par ses confrères, renonce à le défendre par honneur. Tixier-Vignancourt, retour de Madrid, fait du roman-feuilleton : Lagaillarde est parti sur ordre. Les juges décident le huis clos pour certains témoignages contre l’avis de la défense (bâtonnier Charpentier). Levée d’immunité de Lagaillarde votée. Débat sur l’Algérie au Palais-Bourbon. Keral arrêté dans les Pyrénées.

8 décembre 1960

Atmosphère très tendue, dit-on, à Alger. Grève générale proclamée pour demain, arrivée de de Gaulle.

9 décembre 1960

Deux guillotinés hier à la Santé. De Gaulle : émeutes à Alger, lui, impavide sous les clameurs : le panache, voilà ce qui satisfait les gens.

11 décembre 1960

Déjeuner rue Custine avec Pottecher et Pauline Dubuisson. Parlé du procès (des barricades), de Haguenau, de l’Algérie. 61 morts à Alger. Chocs entre Européens et musulmans. Drapeaux verts, Vive le FLN et Abbas.

12 décembre 1960

Le mythe de l’Algérie française est terminé. Conclusion de tous les journaux.
Papier sur les « enragés du Brésil »

14 décembre 1960

Expo musée d’Art moderne (les Demoiselles d’Avignon, les grandes Baigneuses, le Nu descendant l’escalier, des Klee, des Bonnard, des Mondrian…), des plans des décorations d’entrée de métro.

15 décembre 1960

Vu Dante au journal, après des semaines. Froideur.

 

egoflash : 15-12-1960

20 décembre 1960

Sentiment de fatigue et de scepticisme dans le journal.
Lettre officielle m’annonçant que je fais partie des happy few admis à séjourner dans la fondation Prouvost à Grasse (il y a eu vote pour les choisir…).

21 décembre 1960

À Billancourt, auditorium 2, la synchro de l’Enclos : Dante, Chris, Lary, Negro, Vilar (récitant), Blech, Wochinz, Obo, Bouyer, etc. Raccompagné Blech chez Hermès. Cocktail de la fondation Prouvost dans le bureau de G.B. et Mille. Discours de Gaston et de Prouvost, et les « bénéficiaires ». Beaucoup de mécontents : les évincés.

22 décembre 1960

Visite de J.J. et de Gisèle. Déjeuner chez Mercier.
Collin fait sa crise cyclique dans les couloirs (il a été expulsé de chez lui, a battu sa femme il y a deux jours, perd son fric aux machines à sous de l’American Legion).

23 décembre 1960

Dante démissionne du journal. Sabathier–Lévêque, avec son milliardaire Vernon Pike (uranium), qu’il montre à tout le monde. Mme Pike admire ma pipe à tête de cheval : je la lui offre.

30 décembre 1960

Sabathier–Lévêque et son conte de fée : le milliardaire l’invite dans son ranch à San Francisco ; il aura sa maison et sa Cadillac, bien entendu. Trois mois, après quoi il pourra rester s’il le veut. Il part le 6. Tout ce qu’on a rêvé se produit, dit-il, mais peut-être trop tard lorsqu’on a cessé d’y croire.

31 décembre 1960

Vu Gaston. Quitté le journal à 19 h. Il n’y avait plus personne. Les pas qui résonnaient. Dîner.